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crédits photographiques: Betweeners

Annette Carayon

Pourquoi ce projet d’être un jour animatrice d’atelier d’écriture ?  Dans un film de Pagnol, il y a bien longtemps, un des personnages disait avec son merveilleux accent : “ La vie, c’est comme l’électricité, ça se stocke pas, ça se génère dans la circulation… ” Que la vie se produise dans l’échange n’est pas un propos d’une grande originalité. Mais pourquoi l’échange écrit ? La parole, tout de même, ferait plutôt bien les choses…

Une vie d’enseignante et une participation régulière à plusieurs ateliers d’écriture m’ont donné l’expérience d’une intimité, née de l’écriture partagée, qui ne ressemble à aucune autre. Ecrire en atelier c’est à la fois être porté par des présences silencieusement amicales et être au plus près de soi dans cette tension solitaire vers une formulation distincte : dire ce qui était impression fugace, émotion confuse, idée passante, images effacées, souvenirs emmêlés…Le travail d’écriture n’est pas dissociable du travail sur soi dans cet effort fait pour compléter de l’inachevé, donner des contours à de l’impalpable, décompacifier des densités, combler des vides, donner forme à l’inimaginable et bien d’autres choses encore…Mettre en récit, se mettre en récit, c’est produire de l’existence vérifiable. Dans cette quête de vie, quête de soi qui dynamise notre existence, il y aurait ainsi des “ cristallisations d’être ” en forme de textes, petits cailloux blancs de notre chemin en forêt…

Au fil des jours en atelier il apparaît alors clairement que le récit autobiographique est loin d’être le seul dépositaire de l’aventure unique qu’est la vie de chacun. N’importe quel récit, n’importe quel texte, mu par un “ vouloir dire vrai ”, porte la marque de celui qui écrit. N’importe quel texte, dans son ton, son rythme, ses images, sa voix, son style, désigne son auteur dans son intime originalité bien plus sûrement que ne le ferait la confidence intimiste. Parce que cette originalité-là, précisément, échappe à son auteur. L’écriture partagée a ce pouvoir de créer une intimité à l’écart des familiarités parfois encombrantes, intimité où on côtoie hardiesses et timidités, libertés et retenues, quiétudes et périls vécus par chacun dans son effort pour dire. Intimité pudique d’une communauté, pour un moment, advenue humaine ? On serait parfois tenté de le penser…

Et, justement, de la communauté humaine, on en manque ! Dans un monde où la parole semble de plus en plus “ oublieuse de ses sources ”, comme le dit Pontalis, où trop de mots calibrés, formatés, prévus et prévisibles tombent sur nous en pluies de sauterelles, l’atelier d’écriture  pourrait être dans nos villes un des lieux où la parole, “ souveneuse ” de ses sources, ferait advenir de la communauté délibérément humaine et, pourquoi pas, la préserverait, l’annoncerait… Ouvrir un atelier d’écriture, donner place à de l’humain en recherche de soi dans un monde perclus d’anonymat, de conformé et de confirmé ne serait  rien moins qu’un acte militant. (Qu’on se le dise ! …)

        Ceci dit, de toutes ces raisons, il pourrait en rester deux ou trois suffisamment bonnes pour tenir et maintenir cette idée : devenir un jour animante d’un atelier d’écriture…

                                                                                             Annette Carayon –  Juin 2003

Annette Carayon, enseignante de lettres à la retraite qui, avec Aleph, a retrouvé le goût d’écrire.