Henri Michaux ou l’art du portrait au Centre Wallonie-Bruxelles

Avant même d’entrer dans la salle, le visiteur se trouve face à l’affiche grand format de l’exposition : « Henri Michaux, Face à Face ». Il s’agit d’un portrait du peintre-poète rayé d’une grande croix. Rarement une image n’a aussi bien résumé la complexité d’un créateur, qui tout en refusant de s’exposer, n’a cessé à travers son œuvre picturale et ses écrits, d’esquisser son (auto) portrait intime.

Henri Michaux (1899-1984) est connu pour sa volonté de demeurer insaisissable, d’être le moins possible exposé au monde.

Face à face tente donc, à travers les pièces exposées (éditions originales et rares, dessins, huiles sur toile, extraits de sa correspondance et photos) de dresser le portrait d’un être singulier et inclassable.
Portrait à multiples facettes qui débute par un texte de 1957.

Quelques renseignements sur 59 ans d’existence. Affiché en grand sur un panneau, ce texte fait office de biographie de l’auteur. Celui-ci se livre à l’exercice du récit autobiographique avec une sincérité déroutante. Sous forme de fragments, il narre les premiers moments de la vie d’un enfant chétif semblant survivre malgré lui, étranger au monde et peu animé par le désir de vie. On est loin des récits autobiographiques d’auteurs construisant leur propre légende. Ce texte, il l’écrit à la troisième personne du singulier, lui donnant une dimension poétique, humoristique et instaurant également une certaine distance avec le réel.

« 1900 à 1906, Bruxelles
Indifférence.
Inappétence.
Résistance.
[…]
sa moelle ne fait pas de sang. Son sang n’est pas fou d’oxygène.
[…]
Avant 1922
Métiers et emplois divers, médiocres et médiocrement exercés. Sommet de la courbe du « raté ». »

L’exposition est ponctuée par des citations extraites de lettres ou de livres du poète, mises en exergue sur les murs. Le créateur ne cesse de s’interroger sur son identité et la perception que les autres en ont.

Quand vous me verrez, allez ce n’est pas moi (in La Nuit remue).

Henri Michaux - La nuit remueCe questionnement continue à travers une série de portraits aux contours flous qu’il a dessinés ou peints et qui semblent surgir du tableau malgré l’artiste.

Dès que je prends un crayon, un pinceau, il m’en vient sur le papier l’un après l’autre dix, quinze, vingt. Et sauvages la plupart. Est-ce moi tous ces visages ? Sont-ce d’autres ? De quel fonds venus ?

Henri Michaux a publié de nombreux ouvrages, rarement exposés, dans des maisons d’édition assez confidentielles. Ceux-ci nous livrent des portraits écrits d’artistes qu’il admirait : Paul Klee, Zao Wou-Ki ou Matta.

Les pages extraites de Lecture de huit lithographies de Zao Wou-Ki, de 1950 nous montrent à quel point l’Asie fut importante pour lui.

Quelques portraits photographiques de l’artiste sont présentés, notamment ceux de Claude Cahun, et associés à des citations témoignant du refus de l’artiste d’être visible.

Il n’y aura pas de photo de moi, ni seul ni en groupe […]. Mes livres montrent une vie intérieure. Je suis, depuis que j’existe, contre l’aspect extérieur, contre ces photos appelées justement pellicules, qui prennent la pellicule de tout.  (extrait d’une lettre à Robert Bréchon, le 3 juillet 1958).

 

Encre sur papier, 64 x 102 cm.. Monogrammé « HM » en bas à droite. Zao Wou-Ki collectionneur

L’exposition se termine par des extraits de sa correspondance qui livrent un être sans concession. En témoigne sa lettre en réponse à Gaston Gallimard qui lui proposait de l’éditer dans la Pléiade :

L’année dernière déjà dans votre bureau il avait été question de la Pléiade, ce à quoi je vous répondis que cela n’était pas pour moi : en tant que distinction d’abord, que je préfère éviter, parce qu’elle ferait de moi définitivement un professionnel au lieu de l’amateur que je préfère être et demeurer.

Henri Michaux vu par Jules Supervielle

On sort de l’exposition aussi fasciné par l’œuvre que par le personnage. Henri Michaux est né bien avant qu’Andy Warhol ne théorise le quart d’heure de célébrité, censé être, bien avant Internet, le rêve de tout individu. Il serait intéressant aujourd’hui de savoir combien d’écrivains ou poètes refusent d’être édités dans la prestigieuse Pléiade ou simplement de se faire photographier, considérant que ce qu’ils ont à dire est tout entier dans leur œuvre?

 

Nathalie Hegron
L’exposition Henri Michaux. Face à Face a lieu jusqu’au 21 mai 2017, à Paris, au Centre Wallonie-Bruxelles.

 

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