« Joseph Anton, une autobiographie », de Salman Rushdie

Joseph_Anton_-_A_MemoirCette semaine, Alain André vous propose d’écrire à partir du livre de Salman Rushdie « Josef Anton, une autobiographie » (Plon, 2012). Envoyez-nous vos textes (1500 signes maxi) jusqu’au 30 octobre à atelierouvert@inventoire.com.

Extrait

« Les intégristes essaient d’abattre beaucoup plus que des immeubles, écrivit-il. Leurs pareils sont contre (pour offrir simplement une courte liste) la liberté d’expression, un système politique pluripartite, le suffrage universel des adultes, la responsabilité du gouvernement, les Juifs, les homosexuels, les droits des femmes, le pluralisme, la laïcité, les jupes courtes, la danse, le fait de se raser, la théorie de l’évolution, le sexe… L’intégriste croit que nous ne croyons en rien. Dans sa vision du monde, il a ses certitudes absolues, tandis que nous sommes plongés dans des satisfactions sybaritiques. Pour lui prouver qu’il a tort, il faut d’abord savoir qu’il a tort. Nous devons nous mettre d’accord sur ce qui compte : s’embrasser dans les lieux publics, les sandwichs au jambon, les différences d’opinion, la mode d’avant-garde, la littérature, la lingerie fine, la générosité, l’eau, une répartition plus équitable des ressources de la planète, le cinéma, la musique, la liberté de pensée, la beauté, l’amour. Telles sont nos armes. La guerre ne nous sauvera pas, c’est en choisissant de vivre sans avoir peur que nous vaincrons. Vous voulez vaincre le terrorisme ? Ne soyez pas terrorisés. Ne laissez pas la peur dominer votre vie. Même si vous avez peur. »

Proposition d’écriture

Joseph Anton est le pseudonyme sous lequel l’écrivain Salman Rushdie dut se cacher après la fatwa lancée contre lui en février 1989 par l’ayatollah iranien Khomeiny. La fatwa appelait tous les fidèles à supprimer l’auteur de son roman Les Versets sataniques, imprégné d’une « insupportable » lecture rationnelle et critique du Coran. L’ouvrage, intitulé Josef Anton, une autobiographie (Plon, 2012), revient sur les années 1989-2001, une longue période au cours de laquelle Rushdie ne dut sa survie qu’à la clandestinité et à la protection de la police britannique. Il constitue une bonne synthèse de l’un des dilemmes auxquels notre temps nous confronte. Je crains qu’en quelque trois années, qu’il s’agisse de cet intégrisme-là ou d’un autre, il n’ait rien perdu de sa brûlante actualité.

L’extrait ci-dessus figure à la page 716 de l’ouvrage. Il s’agit en fait d’une citation de l’un des articles que l’auteur écrivit juste après les attentats du 11 septembre 2001. J’ai aimé les deux listes qu’il intègre, de ce que les « intégristes » sont censés haïr, et de ce que la plupart des « démocrates » sont censés aimer ou accepter. Elles ont une vertu provocante : elles m’ont donné envie de les modifier, de les contester, de les compléter, d’identifier des éléments supplémentaires pour, non seulement les ajouter à la liste de ce sur quoi « nous » devrions être d’accord, mais pour en faire l’éloge. Je me suis ainsi amusé à ajouter à la seconde liste, par exemple, les ateliers d’écriture, les piquets de grève, la peinture d’Edward Hopper, la lecture des journaux le matin à une terrasse de café, le droit de décider de sa propre mort, le foie gras, le fait que mon épouse bricole et jardine bien mieux et davantage que moi, le tango argentin, etc. Chaque élément de la liste me renvoyait à une dimension spécifique et à des instants particuliers de ma vie « en démocratie ».

Et vous, quelle serait votre liste ? Qu’aimeriez-vous ajouter, parce que vous y tenez et que vous êtes sensible au fait que cela n’irait peut-être pas de soi pour tout le monde ? Dressez votre liste, puis choisissez un élément, pour en faire l’éloge, en évoquant un instant de votre vie, ou en racontant comment son apport a déjà changé, ou pourrait changer un jour, concrètement, votre existence. En un feuillet, pas plus, que vous nous enverriez…

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Photo: Alain André

Lecture

Salman Rushdie est né à Bombay en 1947. Il est l’auteur de 16 livres, dont Les Enfants de minuit, Le Dernier soupir du Maure et les célèbres Versets sataniques. La qualité de son œuvre lui a valu outre-Atlantique les prix les plus prestigieux. Malgré quelques longueurs sans doute inévitables, Joseph Anton est un livre passionnant de bout en bout.

Imaginez un thriller, dont le héros doit sans cesse échapper aux sbires de l’ayatollah lancés à ses trousses, en tentant malgré tout de conserver la direction de sa propre défense et celle de son œuvre littéraire. Mais un thriller capable de nous informer et de nous faire méditer sur le Coran, l’immortalité de l’art et de la littérature, le dépassement des échecs d’écriture – treize ans d’insuccès avant la parution des Enfants de minuit -, la façon dont le monde contemporain s’assemble ou se « mondialise », le droit au blasphème, la fragilité des hommes politiques et l’inaliénable droit au récit de l’espèce « fabulatrice » qu’est l’espèce humaine.

J’avais eu du mal avec les romans de Rushdie, notamment avec le premier que j’avais essayé de lire, Le dernier soupir du Maure. J’avais eu du mal avec le conte, et la prolifération permanente, et l’abondance de cette prose irrépressible. Joseph Anton m’a convaincu : j’y retourne, avec Les Enfants de minuit, que j’avais négligé de lire.

A.A.

 

 

 

 

 

 

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