La disparition de Jim Sullivan

Cette semaine, Alain André vous propose d’écrire à partir du livre de Tanguy Viel, La disparition de Jim Sullivan (Minuit, 2013). Envoyez vos textes jusqu’au 25 mai, uUne sélection de vos textes sera publiée 15 jours plus tard. Contact: atelierouvert@inventoire.com

IMG_2302 copie1. L’extrait

« Récemment, comme je faisais le point sur les livres que j’avais lus ces dernières années, j’ai remarqué qu’il y avait désormais dans ma bibliothèque plus de romans américains que de romans français. Pendant longtemps pourtant, j’ai plutôt lu de la littérature française. Pendant longtemps, j’ai moi-même écrit des livres qui se passaient en France, avec des histoires françaises et des personnages français. Mais ces dernières années, c’est vrai, j’ai fini par me dire que j’étais arrivé au bout de quelque chose, qu’après tout, mes histoires, elles auraient aussi leur place ailleurs, par exemple en Amérique, par exemple dans une cabane au bord d‘un grand lac ou bien dans un motel sur l’autoroute 75, n’importe où pourvu que quelque chose se mette à bouger. »

2. Ma suggestion

C’est l’ouverture du dernier ouvrage de Tanguy Viel, La disparition de Jim Sullivan (Minuit, 2013). Encore un auteur, se dira-t-on peut-être, qui s’en prend à sa propre identification à la France ! Pas si sûr… Les écrivains français s’en prennent moins à la France qu’ils n’ont tendance à écrire des romans qui se déroulent ailleurs, et notamment aux Etats-Unis (ou au Japon). C’est du rêve américain qu’il est question. Tanguy Viel nous a surtout habitué à entrer dans sa propre création sur le mode d’une critique des genres littéraires ; ici, c’est en vérité au « roman américain » qu’il s’en prend, en tant que norme de genre, déférée à un ensemble de conventions et de règles narratives spécifiques. Il le fait avec le désir à la fois de faire « bouger » un peu les lignes françaises et de subvertir ironiquement cette norme de genre.

Et vous ? Si vous deviez jouer avec un genre, oublié, détesté ou adoré, lequel choisiriez-vous ? Le roman russe ? Le polar ? Le roman sentimental ? Le roman-photo ? La science-fiction ? Le fantastique ? L’heroïc fantasy ? Faites donc le point, vous aussi, sur votre bibliothèque, récente ou ancienne : qu’avoue-t-elle ? Ne soyez pas décoratif, n’essayez pas de faire chic, soyez vrai. Que pouvez-vous observer ? Donnez-vous la liberté d’imaginer que vous commencez à écrire un texte en vous fondant sur cette observation : si vous en tiriez une petite « fantaisie », comment commencerait-elle ? Avec quelle situation, quel personnage principal ? Et envoyez-vous ce début (en un feuillet standard de 1500 signes au maximum, votre ordinateur sait le vérifier : « Outils »—> « Statistiques »).

3. Lecture

Tanguy Viel n’en est pas à son coup d’essai. Avec son précédent roman, Paris-Brest (2009), publié comme les autres chez Minuit, il s’en prenait moins à cette pâtisserie issue de l’amour du vélo qu’au roman autobiographique, et plus précisément familial. Depuis le début, son écriture dialogue avec des objets en quelque sorte décalés : John Coltrane dans Le Black Note (1998), son premier roman ; Le Limier, de Mankiewicz, dans Cinéma (1999) ; ou encore le polar, avec L’absolue perfection du crime (2001). On a donc affaire ici à un roman au second degré – très français en vérité sur ce point, voire très « Minuit ». Il nous fait réfléchir à ce qui fait un roman « international ». Il reflète les stéréotypes du genre : le héros, qui vient de divorcer, a la cinquantaine, il fait des remarques acides comme dans les romans de campus, pendant ce temps-là la guerre a lieu en Irak, la serveuse s’appelle Milly, etc. Il ironise, surtout, sans cesse, à propos des techniques et des réflexes conditionnés du romancier américain : les personnages semblent sortir tout droit de leur fiche, les flash-backs abondent même quand ils ne servent à rien, il y a un match de hockey sur glace, etc. Ce qui est délicieux dans cette affaire, au total, c’est que le moteur du roman est ludique, c’est que la pensée qu’il suggère est critique et que, cependant, peu à peu, malgré soi, on est pris par le récit, on est embarqué dans la lecture d’un « roman américain », on s’intéresse vraiment à ce qui arrive à « Dwayne Koster », le héros (Dwayne Koster, oui, si vous voulez en savoir plus sur Jim Sullivan, lisez donc Tanguy Viel).

Alain ANDRÉ

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