Vos textes: Ingrid Aubry à partir de La Claire Fontaine de David Bosc

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Tableau de Danièle Bernadès, « Sans titre »

Nous reprenons après l’été la parution de vos textes en réponse à nos appels à écriture.

Voici aujourd’hui celui de Ingrid Aubry, répondant à la proposition de Françoise Khoury à partir du livre de David Bosc, (Verdier, 2013)

 SANS TITRE

Ce tableau est pour moi un mystère. C’est pour cela que je l’aime, parce que je ne sais pas l’expliquer. Il change d’apparence au fil des heures de la journée, parfois plus rose, parfois plus gris, parfois plus doré. C’est pour cela que je l’aime. Il n’est jamais le même selon l’appartement dans lequel je me trouve, puisque c’est maintenant le deuxième appartement dans lequel je l’installe. J’ai l’impression qu’il vit. Qu’il vit avec moi. Qu’il vit en moi.

Parfois, il paraît terriblement terne, et puis soudain il brille, l’or en lui scintille. Peut-être que je l’entends aussi. Comme un murmure au creux de mon oreille, qui me rassure, qui m’enveloppe de douceur, de tendresse. Il m’attire et j’ai l’impression que je pourrais me glisser par la fente dorée qui se trouve en son centre. Il est fait pour plonger dedans, se blottir.

Le tableau a une vraie consistance, ce n’est pas juste de la peinture appliquée finement. La pièce fait bien deux millimètres d’épaisseur, un mélange de peinture, de colle je crois et d’autres pigments. Il est rugueux. Si l’on distingue bien des zones colorées, organisées en rectangles imbriqués les uns dans les autres, elles ne sont pas délimitées de façon nette, se mélangent subtilement, donnant une sensation de flou lorsqu’on regarde bien.

Quand je l’ai vu la première fois, j’ai pensé à un dessin que j’avais fait à la maternelle avec des craies, sans doute des pastels gras, comme l’on donne aux enfants. Les tons étaient complètement différents, mais la vue du tableau a immédiatement ramené ce souvenir à mon esprit. Un souvenir lointain qui me renvoie à la petite fille créative que j’étais et qui s’est perdue en chemin. Le tableau ne me rend pas triste, au contraire. Il est comme une preuve que j’étais cette petite fille, tout simplement parce que ce que je ressens en le regardant me lie à elle.

C’est cela qui est étrange. Comment un tableau, fait par un artiste qui ne vous connaît pas, peut soudain procurer un sentiment si familier, parler de vous à travers une émotion qu’il provoque. Bien sûr, des théoriciens vous diront que c’est l’humanité de l’art, ce qui nous lie entre êtres humains, ce que les artistes révèlent. Mais moi, ça continue de me fasciner et par le bonheur que cela me procure, je ne veux pas l’expliquer. J’aime cette inconnue qui, pour une fois, ne m’effraie pas, mais me cajole et me console. J’aime ce transport, cette jouissance, qui naît dans mon cœur et voyage jusque dans mes tripes, pour finir dans mes pieds.

Grâce à son étrangeté, ce tableau me donne la preuve que j’existe et que mon existence a du sens, que cette beauté a une raison d’être, juste parce qu’elle est. Ce tableau est beau et voilà longtemps que j’avais envie de parler de lui.

Ingrid Aubry

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