Vos textes: à partir de Chantal Akerman par Christine Gastaldo

IMG_7113Cette semaine, nous vous proposons deux textes reçus à partir de la proposition d’écriture de Françoise Khoury  issue du livre de Chantal Akerman, Ma mère rit (Mercure de France, 2013). Voici celui de Christine Gastaldo.

Dis t’as vu l’heure ?

Dis t’as vu l’heure ? C’est la deuxième fois en dix minutes que papa passe la tête à la porte de ma chambre et me rappelle sans douceur qu’il faut que je me lève. Oui que je me lève pour aller travailler, pour ne pas être en retard parce que ça ne fait pas très sérieux d’être en retard. Un retard n’est acceptable que s’il est exceptionnel et totalement dû à des circonstances indépendantes de la volonté du retardataire. Bon, et puis il faudrait que je me décide parce que je ne suis pas tout seul dans cette maison, qu’il n’y a qu’une douche et que tous les membres de cette famille ne sont pas comme moi des flemmards, des feignants, des cossards, des tire-au-flanc qui n’en fichent pas une rame.

Dis t’as vu l’heure ? Cette fois, c’est maman qui hurle de sa voix nasillarde du matin, qui s’agite bruyamment, qui claque les portes sans ménagement, passe un dernier coup d’aspirateur, histoire que je ne me rendorme pas. Même grand-mère s’y met et répète à l’envi : la ponctualité c’est la politesse des rois. Le roi ? Quel roi ?

Moi, j’aime prendre le temps de sortir de mes rêves, de les prolonger, d’imaginer d’autres versions. J’aime l’odeur de ma couette, la lumière du petit matin, l’odeur du café, le cliquetis de la porte du garage du voisin qui invariablement cliquète à sept heures une. Parce que, faut pas croire ! J’ai l’œil sur le réveil ! D’ailleurs, s’il ne pleut pas, s’il n’y a pas d’embouteillage, si deux des quatre feux du trajet passent au vert à mon approche, si je me gare facilement, si le chef d’atelier discute avec la comptable, je serai à l’heure !

Dis t’as vu l’heure ? Il s’énerve. Tant pis, ce n’est plus un enfant ! Ça c’est maman, tendue, qui tente une médiation apaisante.

Ils me font pitié. Je me lève. Je vais finir ma nuit, debout sous la douche.

Christine Gastaldo

 

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