Rappel: « Les ateliers d’écriture et l’Oulipo », colloque

Un colloque consacré aux relations des ateliers d’écriture et de l’Oulipo se tiendra les 17-18 mai 2018 à Paris. Organisé par l’Université Paris III, L’Université Paris Diderot et le Séminaire « Approches de l’Oulipo », il entend questionner les liens incertains entre pratiques oulipiennes et pratiques d’atelier. Alain André, responsable pédagogique d’Aleph-Écriture et écrivain, y interviendra. Voici ses remarques préliminaires. Elles portent sur les liens entre les exercices oulipiens et la formation à l’écriture littéraire, l’occasion de constater l’importance de cette pratique dans l’écriture contemporaine.

 

Contexte

Les années 1980 ont vu émerger en France toute une série de pratiques culturelles et de formation nouvelles. Elles se sont dégagées ou affirmées peu à peu aux lendemains de la décennie gentiment résumée par le « mois de mai 1968 ». Anne Roche découvrit ainsi les ateliers au cours d’un voyage d’étude aux États-Unis, au cours de l’été 1968, et tenta de les acclimater à l’Université d’Aix-en-Provence. C’est à la même époque que se développent un peu partout dans le pays ateliers d’écriture, lectures publiques et clubs de lecture.

Dans ce contexte, l’OULIPO (comme le Nouveau Roman ou la Nouvelle critique à d’autres égards) fait déjà partie du « background ». Les auteurs oulipiens s’affichent avant tout… comme des auteurs, sûrement pas comme des animateurs. Dans les ateliers, la référence aux contraintes canoniques est marginale, occasionnelle, et ce d’autant plus que de nombreuses associations cultivent plutôt l’expression et l’écriture « spontanée ». Une exception : les courants formalistes, principalement à l’université. Reste que, globalement, des planètes se frôlent parfois, s’ignorent le plus souvent.

Les contraintes oulipiennes dans les ateliers

Pour comprendre la façon dont les ateliers d’écriture perçoivent le travail de l’OULIPO, il faut donc s’intéresser à d’autres acteurs que ceux qui s’adressent à un public étudiant captif ou fasciné par la théorie pure. J’observe qu’à Aleph, aucun des quelque 300 produits de formation proposés ne fait explicitement référence à l’OULIPO (pas de stage « Contraintes »).

Dans la « Formation générale à l’écriture littéraire » figure une journée introduisant aux écritures surréalistes puis à leur critique via Raymond Queneau et l’OULIPO : elle vise à poser la question du style dans la prose et le Queneau convoqué est l’auteur d’Odile ou du Voyage en Grèce : celui qui cherche à la fin des années 30, bien avant l’invention de l’Oulipo, à équilibrer « l’inspiration » à  l’aide de la « technique ». Le cycle d’accompagnement de projets personnels d’écriture longue » évoque brièvement le « rapport à la contrainte » : pour introduire à une pratique de l’écriture matinale régulière, inaugurée dans les années 30 par la poétesse américaine Dorothea Brande.

L’EACWP (association européenne des programmes d’écriture créative), dont Aleph est membre fondateur, permet la confrontation de pratiques d’atelier à l’échelle de l’Europe entière. L’OULIPO est absente des pratiques présentées par les intervenants. Dominent chez la plupart et la littérature anglo-américaine, largement traduite en Europe, et les ouvrages des « creative writing teachers » (comme Natalie Goldberg). Dans ce cadre, Aleph a travaillé à mettre en évidence la richesse des corpus littéraire et pédagogique français et plus largement européens : façon de se dégager d’une « influence », ou plutôt d’une domination.

François Bon et les intervenants d’Aleph ont eu l’occasion de voir, lors d’une journée d’étude, qu’ils avaient bien des points communs, mais qui n’empruntaient nullement, là encore à l’Oulipo. Leur culture commune était plutôt liée aux auteurs, souvent même aux textes qu’ils utilisaient comme sources de l’écriture. Pourquoi ? Peut-être avons-nous une approche de ce qu’est l’imagination créatrice qui emprunte moins à l’Oulipo qu’à Didier Anzieu ou Henri Bauchau : «un rapport de liberté avec l’inconscient et un charme jeté sur le monstre ». Nous laissons à chacun son inconscient, bien sûr, comment faire autrement ? Mais ce « charme » est celui du travail de la forme. C’est que nous nous intéressons d’abord à ces figures que Gérard Genette nommait « nœuds formels » : celles qui assurent l’articulation d’une nécessité personnelle et d’une trouvaille formelle. Ainsi, pour prendre un exemple récent, de la trouvaille du New-Yorkais Paul Auster — tant pis s’il s’agit d’un Américain, il faut parfois rendre à César ce qui lui appartient —, imaginant une forme polyphonique nouvelle au cours de l’écriture de 4 3 2 1. Telle est la culture — une grammaire des formes — dont nous tentons d’assurer la transmission, en même temps que des œuvres qui accompagnent notre propre vie. Parmi elles figurent certes celles de Queneau, Perec, Roubaud ou Calvino — mais aussi des dizaines d’autres.

Place de la contrainte dans l’écriture

Pour autant, je me suis frotté aux contraintes, faisant paraître dans Formules. La revue des littératures à contraintes une partie des 26 nouvelles tautogrammatiques écrites en 2000, ainsi que quelques nouvelles lipogrammatiques, notamment dans la revue Encres Vagabondes. Je ne crache pas dans la soupe : ce recueil m’a permis de lever la censure qui m’empêchait depuis des années de finir mon premier roman.

J’aurais donc pu devenir un auteur oulipien. Pourquoi non ? C’est que, déjà, mon pari « tautogrammatique » s’énonçait de la façon suivante : peut-on véritablement écrire à partir de la plus stupide des contraintes ? La réponse est certes positive, mais je reste dans l’affirmation d’une position centrale : ni spontanéiste-inspirée (cette naïveté-là me semble avoir fait naufrage, notamment dans la conduite d’ateliers d’écriture) ni formaliste-théoriciste pure et dure (cette prétention-là fait le plus souvent naufrage dans l’écriture, n’est pas Georges Perec quiconque s’ajoute une barbichette). Paul Valéry, en somme, est le cap que je peux atteindre, ou le Queneau de 1937, mais que je me refuse à franchir — et surtout à faire franchir d’autorité à quiconque entreprend d’écrire. N’appartient-il pas à chaque auteur potentiel d’élaborer, dans son atelier personnel, la stratégie adéquate à son histoire et à sa « volonté énonciative » (Pierre Michon) ?

Alain André

Fondateur d’Aleph-Écriture et écrivain, il a conçu des stages et cycles de formation à l’écriture, consacrés au fragment, à la nouvelle et au roman. Il est l’auteur de romans, comme Rien que du bleu ou presque (Denoël, 2000) ou La passion, dit Max (collection « Photoroman », Thierry Magnier, 2007) ; de nouvelles et fictions brèves ; d’essais consacrés à l’écriture et aux ateliers, comme Devenir écrivain (Leduc.s, 2007 et 2018), Écrire l’expérience. Vers la reconnaissance des pratiques professionnelles (en collaboration avec Mireille Cifali, PUF, 2007) ou Babel heureuse. L’atelier d’écriture au service de la création (Syros-Alternatives, 1989 et Aleph, 2011) ; ainsi que d’ouvrages pratiques et de nombreux articles de fond consacrés à l’écriture et aux ateliers.

Ses prochaines formations en mars 2018 à La Rochelle, ici. Ne manquez pas son cycle « Roman, initiation » à partir du 9 juillet à La Rochelle.

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