Première « Journée des éditeurs » à Aleph-Écriture : les débats

La première journée des éditeurs s’est déroulée vendredi 2 juin à Aleph-Écriture. L’occasion pour les participants des ateliers Roman, animés par Marianne Jaeglé et Christophe Duchatelet de présenter à 6 éditeurs leur roman tout juste terminé.

Marianne Jaeglé a ouvert cette journée en rappelant « qu’écrire un roman est un marathon », soulignant que celui-ci terminé, un autre commence : trouver une maison d’édition où le publier.

Après avoir préalablement envoyé aux éditeurs présents le résumé et l’extrait de leur roman, les 9 auteurs participants issus de la formation qu’ils ont suivie à Aleph-Écriture, ont présenté leur projet aux directeurs littéraires des éditions : Jean-Paul Arif, Scrinéo,  Sophie Bogaerts, Fugue,  Magali Langlade, Belfond, Caroline L’Epée/Calmann Lévy, Simon La Brosse, Grasset , Maïté Feracci, Michel Lafon. Ces projets ont suscité de nombreuses questions et remarques de la part des éditeurs, éclairant le positionnement du manuscrit, les formats et sujets recherchés; traçant parfois des pistes de re-travail.

Nous ne reviendrons pas ici sur les retours faits sur ces manuscrits, singuliers pour chaque auteur, mais sur les remarques plus générales des éditeurs reflétant leur pratique, et les tendances de l’édition actuelle, résumés en plusieurs points.

Envoi du manuscrit

Pour la rédaction de la lettre accompagnant le manuscrit, les éditeurs rappellent la nécessité d’extraire le fil narratif le plus original possible du livre pour attirer leur attention, mettant en valeur le détail qui va leur donner envie de découvrir les premières pages.

Format

Les manuscrits aujourd’hui ne devraient pas dépasser les 500 000 signes (400 pages imprimées). Au-delà, le contexte de la crise du papier conjugué à la baisse du temps de lecture disponible, impliquent que les très gros livres sont difficilement publiables. Un premier roman de 700 pages a ainsi peu de chances d’être publié aujourd’hui.

Les éditeurs rappellent par ailleurs qu’un livre trop long peut souvent être écourté de 200 pages pour resserrer l’intrigue; le  rôle de l’éditeur étant aussi de proposer à l’auteur de revoir la possibilité de penser l’ellipse dans le récit.

Le roman à partir d’un fait-divers, un genre apprécié

Ce genre littéraire en vogue, inauguré par Truman Capote (De Sang Froid), mêle souvent l’histoire personnelle de l’auteur au sujet qu’il investigue. Comme dans L’Adversaire d’Emmanuel Carrère, la contextualisation de l’enquête menée au présent par un narrateur-détective permet de mêler reportage et roman. Un pas de côté pour le lecteur qui peut s’identifier au narrateur (et non au criminel). L’ouvrage présenté par Olivier Muller « Les coupeurs de barbe en pays Hamish » se situe dans cette veine (un éditeur indique que l’univers se rapproche de « There will be blood », le film de Paul Thomas Anderson). A l’enquête sur des faits passés, se mêle celle sur les origines du narrateur, et ses résonances dans sa vie tandis que le récit progresse. Un genre qui privilégie l’histoire, et recueille l’intérêt des éditeurs, révélant une tendance du marché éditorial. Le point de vue du narrateur sur la façon de raconter une histoire est donc primordial.

La narration : le personnage et son contexte social

Un éditeur rappelle préférable d’utiliser un moteur d’ordre narratif plutôt que descriptif (d’un milieu ou d’un environnement) pour faire avancer l’histoire, car ce sont les personnages qui sont en centre du cadre et non l’inverse. Par exemple, « l’événement inquiétant qui monte en puissance » est une bonne illustration du principe de moteur narratif. Dans le livre d’Emmanuel Carrère « La Moustache », la présence ou l’absence de moustache devient moteur de la narration, et événement intriguant par excellence.

Pour les romans dont l’intrigue s’inscrit dans une époque récente, il faut être attentif au fait que nous sommes passés dans le « monde d’après » (la pandémie) et que certaines préoccupations sociétales ont changé. Un éditeur ajoute que parmi les livres publiés actuellement, les « road book » rassemblent un grand nombre de lecteurs, de même, toute une littérature autour de « la survie » ou de l’immigration (quand ces livres évitent l’appropriation culturelle).

Sujets en perte de vitesse

Interrogés sur le type de manuscrits qu’ils reçoivent le plus (et auxquels ils ne donnent pas suite) les éditeurs indiquent : « souvent des histoires de personnages se mettant en scène en train d’écrire, sans développer de véritable histoire. » Ils évoquent aussi le trop grand nombre de manuscrits reçus autour de témoignages de violences sexuelles (un manuscrit sur deux), qui ont fait l’objet d’une importante couverture éditoriale ces dernières années. Non qu’ils ne soient pas intéressants, mais libraires et lecteurs s’en détournent actuellement.

Publier des nouvelles ou pas ?

Enfin, lorsqu’une participante demande à une éditrice si sa maison publie des nouvelles, la réponse est un non (unanime). Les libraires n’arrivent pas à intéresser les lecteurs à ce type de format ; même si aux Etats-Unis, le genre est toujours prisé des lecteurs (peut-être en raison de la part importante qu’elle lui est laissée dans les journaux avec supplément du week-end et les magazines grand public). Le fait de relier la nouvelle à l’actualité (ce qui en est la genèse), est toujours ce qui en permet la diffusion. En France, ces supports magazine n’existant pas, la nouvelle est considérée par les éditeurs comme une « rampe de lancement », une manière d’obtenir une première publication, ou du domaine de la revue.

Pour résumer :

Les trois points essentiels sur les manuscrits qui interpellent les éditeurs

  • Une langue + un point de vue + un sujet
  • Pas plus de 500 000 signes
  • Un public de lecteurs potentiels

La diversité des genres littéraires était présente lors de cette Journée des éditeurs, à travers les romans des participants : roman historique, comédie, Fantasy, sujets de société (monde du travail, faits divers), représentatifs de la philosophie des ateliers Aleph, où les animateurs-formateurs sont avant tout à l’écoute de la singularité de l’écriture et des projets de chacun.

La soirée s’est poursuivie par un verre de l’amitié sur la terrasse d’Aleph, l’occasion d’échanger encore et de mesurer le chemin parcouru, heureux de cette journée riche en nouvelles perspectives. Un grand merci à tous les éditeurs présents pour la générosité de leur conseils et de leurs points de vue. Et aux participants de s’être prêtés à ces rencontres autour de leur manuscrit !

Albin Ducorny, Anne Calmels, Arwad Pilartz, Sophie Tavert Macian, Joël Dessaint, Marceline Putnaï, Marianne Jaeglé, Christophe Duchatelet, Clarisse Rebotier, Jean-Marc Serelle, Olivier Muller (participants et formateurs)

Les six éditeurs invités 

Jean-Paul Arif, Scrinéo,  Maïté Feracci, Michel Lafon. Sophie Bogaerts, Fugue,  Simon La Brosse, Grasset et Magali Langlade, Belfond, Caroline L’Epée/Calmann Lévy. 

Auteurs issus des ateliers Aleph Roman présentant leur projet : 

L’odalisque rouge : Albin Ducorny . Une semaine avec moi : Anne Calmels. Spams : Joël Dessaint. Les coupeurs de barbe de Bergholz : Olivier Muller. La trogne : Arwad Pilartz. Berserker : Marceline Putnaï. Ben Ali mon amour : Clarisse Rebotier. Un trésor national : Jean-Marc Serelle. Gamba : Sophie Tavert Macian.