Parmi les 540 livres de cette rentrée littéraire, un grand nombre d’entre eux sont dédiés aux pères, sous forme de récit, d’enquête, de témoignage, mêlant souvent les codes du roman à ceux de l’autobiographie.
Les périodes de confinement marquées par l’omniprésence de la mort, ont été celle des prises de consciences, bilans, changements de vie. Pour les écrivains comme pour les autres, elles ont parfois révélé la volonté de transmettre son histoire avec un nouveau sentiment d’urgence en raison des incertitudes de la situation sanitaire. En effet comment s’orienter dans la vie sans comprendre d’où nous venons ? Le récit des pères, héros ou anti-héros semble tracer une voie de reconstruction dans ces quelques livres de la rentrée. Parmi eux : Tanguy Viel, La fille qu’on appelle (Éditions de Minuit), Amélie Nothomb, Premier sang (Albin Michel), Alexandre Labruffe, Wonder Landes (Verticales), François Noudelmann, Les enfants de Cadillac (Gallimard), Marc Dugain, La volonté, (Gallimard), Christine Angot, Le Voyage dans l’Est (Flammarion) et Sorj Chalandon, Enfant de salaud (Grasset).
Nous avons choisi de vous parler cette semaine des livres de Sorj Chalandon et de Christine Angot, figurant parmi les 16 romans en lice du Prix Goncourt.
Sorj Chalandon : Enfant de salaud (Grasset) Sorj Chalandon Photo © Odile Meylan
Journaliste et écrivain, Sorj Chalandon est spécialiste de l’IRA, ses reportages sur l’Irlande du Nord et sur le procès Klaus Barbie lui ont valu le prix Albert Londres en 1988.
Auteur de sept romans, l’écrivain interroge toujours la guerre, le trouble, la mystification « Mon traitre », « La Légende de nos pères », « Profession du père ». Mais cette fois, c’est à partir de nouveaux documents qu’a enquêté Sorj. Son père s’est d’abord présenté comme résistant quand il était enfant, puis comme nazi, avant que Sorj ne retrouve après sa mort son dossier de justice établissant des faits de collaboration. Un récit souvent glaçant, et pourtant bouleversant dans sa tentative de restaurer une vérité qui par essence lui échappera toujours, noyée dans la sombre mythomanie d’un père.
Celui qui résout les énigmes et dissout les mensonges.
De son nom de baptême Georges, Sorj a choisi de modifier son état civil pour adopter ce diminutif de l’enfance, comme si le double inversé de son prénom était inscrit dans son histoire et préfigurait sa quête future. Un prénom comme un miroir inversé qui va lui permettre de redresser les perspectives. Une tâche quasi impossible puisque le père s’est enfermé dans un double jeu avec lui-même et les autres. Comment se construit-t-on quand on a eu un père qui vous a menti sans qu’on n’ait jamais pu savoir pourquoi ? Peut-être en devenant le double inversé de celui-ci. Celui qui résout les énigmes et dissout les mensonges. Reste, à la fin de cette traversée des apparences, encore et toujours, un témoignage d’amour d’un fils pour son père.
Extrait
1. Dimanche 5 avril 1987
— C’est là.
Je me suis surpris à le murmurer.
Là, au bout de cette route.
Une départementale en lacet qui traverse les vignes et les champs paisibles de l’Ain, puis grimpe à l’assaut d’une colline, entre les murets de rocaille et les premiers arbres de la forêt. Lyon est loin, à l’ouest, derrière les montagnes. Et Chambéry, de l’autre côté. Mais là, il n’y a rien. Quelques fermes de grosses pierres mal taillées, calfeutrées au pied des premiers contreforts rocheux du Jura.
Je me suis assis sur un talus. J’ai eu du mal à sortir mon stylo. Je n’avais rien à faire ici. J’ai ouvert mon carnet sans quitter la route des yeux.
« C’était là », il y a quarante-trois ans moins un jour.
Lire plus ici.
Christine Angot : Le voyage dans l’Est (Flammarion)
L’auteure revient sur le récit de l’inceste perpétré sur elle par son père. L’émotion a posteriori a laissé place ici à la relation chronologique des faits, dont l’absence de commentaire amplifie la résonance. Le récit abandonne le rythme incantatoire de ses livres précédents au profit de la force de phrases courtes et précises restituant l’indicible effroi de l’inceste.
Dans l’enchaînement des mécanismes de la mise en place du « consentement » qu’on a déjà lus dans les récits autobiographiques de Vanessa Springora et de Camille Kouchner, traitant de l’emprise et du viol d’un adulte sur mineur, ce livre se distingue évidemment par la force littéraire de l’écriture de Christine Angot, qui par sa simplicité apparente en fait une lecture implacable. Là où le témoignage et l’explication nous en donnait un éclairage salutaire dans Le consentement et La Grande Familia, Le voyage dans l’Est met des mots sur la sidération et le trajet qui mène à la mémoire retrouvée de son intégrité. Avant et maintenant.
Feuilleter le livre, ici.
Danièle Pétrès
Une rentrée littéraire sous le signe du père
Parmi les 540 livres de cette rentrée littéraire, un grand nombre d’entre eux sont dédiés aux pères, sous forme de récit, d’enquête, de témoignage, mêlant souvent les codes du roman à ceux de l’autobiographie.
Les périodes de confinement marquées par l’omniprésence de la mort, ont été celle des prises de consciences, bilans, changements de vie. Pour les écrivains comme pour les autres, elles ont parfois révélé la volonté de transmettre son histoire avec un nouveau sentiment d’urgence en raison des incertitudes de la situation sanitaire. En effet comment s’orienter dans la vie sans comprendre d’où nous venons ? Le récit des pères, héros ou anti-héros semble tracer une voie de reconstruction dans ces quelques livres de la rentrée. Parmi eux : Tanguy Viel, La fille qu’on appelle (Éditions de Minuit), Amélie Nothomb, Premier sang (Albin Michel), Alexandre Labruffe, Wonder Landes (Verticales), François Noudelmann, Les enfants de Cadillac (Gallimard), Marc Dugain, La volonté, (Gallimard), Christine Angot, Le Voyage dans l’Est (Flammarion) et Sorj Chalandon, Enfant de salaud (Grasset).
Nous avons choisi de vous parler cette semaine des livres de Sorj Chalandon et de Christine Angot, figurant parmi les 16 romans en lice du Prix Goncourt.
Journaliste et écrivain, Sorj Chalandon est spécialiste de l’IRA, ses reportages sur l’Irlande du Nord et sur le procès Klaus Barbie lui ont valu le prix Albert Londres en 1988.
Auteur de sept romans, l’écrivain interroge toujours la guerre, le trouble, la mystification « Mon traitre », « La Légende de nos pères », « Profession du père ». Mais cette fois, c’est à partir de nouveaux documents qu’a enquêté Sorj. Son père s’est d’abord présenté comme résistant quand il était enfant, puis comme nazi, avant que Sorj ne retrouve après sa mort son dossier de justice établissant des faits de collaboration. Un récit souvent glaçant, et pourtant bouleversant dans sa tentative de restaurer une vérité qui par essence lui échappera toujours, noyée dans la sombre mythomanie d’un père.
De son nom de baptême Georges, Sorj a choisi de modifier son état civil pour adopter ce diminutif de l’enfance, comme si le double inversé de son prénom était inscrit dans son histoire et préfigurait sa quête future. Un prénom comme un miroir inversé qui va lui permettre de redresser les perspectives. Une tâche quasi impossible puisque le père s’est enfermé dans un double jeu avec lui-même et les autres. Comment se construit-t-on quand on a eu un père qui vous a menti sans qu’on n’ait jamais pu savoir pourquoi ? Peut-être en devenant le double inversé de celui-ci. Celui qui résout les énigmes et dissout les mensonges. Reste, à la fin de cette traversée des apparences, encore et toujours, un témoignage d’amour d’un fils pour son père.
Extrait
1. Dimanche 5 avril 1987
— C’est là.
Je me suis surpris à le murmurer.
Là, au bout de cette route.
Une départementale en lacet qui traverse les vignes et les champs paisibles de l’Ain, puis grimpe à l’assaut d’une colline, entre les murets de rocaille et les premiers arbres de la forêt. Lyon est loin, à l’ouest, derrière les montagnes. Et Chambéry, de l’autre côté. Mais là, il n’y a rien. Quelques fermes de grosses pierres mal taillées, calfeutrées au pied des premiers contreforts rocheux du Jura.
Je me suis assis sur un talus. J’ai eu du mal à sortir mon stylo. Je n’avais rien à faire ici. J’ai ouvert mon carnet sans quitter la route des yeux.
« C’était là », il y a quarante-trois ans moins un jour.
Lire plus ici.
L’auteure revient sur le récit de l’inceste perpétré sur elle par son père. L’émotion a posteriori a laissé place ici à la relation chronologique des faits, dont l’absence de commentaire amplifie la résonance. Le récit abandonne le rythme incantatoire de ses livres précédents au profit de la force de phrases courtes et précises restituant l’indicible effroi de l’inceste.
Dans l’enchaînement des mécanismes de la mise en place du « consentement » qu’on a déjà lus dans les récits autobiographiques de Vanessa Springora et de Camille Kouchner, traitant de l’emprise et du viol d’un adulte sur mineur, ce livre se distingue évidemment par la force littéraire de l’écriture de Christine Angot, qui par sa simplicité apparente en fait une lecture implacable. Là où le témoignage et l’explication nous en donnait un éclairage salutaire dans Le consentement et La Grande Familia, Le voyage dans l’Est met des mots sur la sidération et le trajet qui mène à la mémoire retrouvée de son intégrité. Avant et maintenant.
Feuilleter le livre, ici.
Danièle Pétrès
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