Ecrire à partir de « En attendant Bojangles » de Olivier Bourdeaut

Cette semaine, Solange de Fréminville vous propose d’écrire à partir du dernier ouvrage d’Olivier Bourdeaut, En attendant Bojangles (Finitude, 2016). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1500 signes maxi) jusqu’au 7 novembre à atelierouvert@inventoire.com

bojanglesL’extrait

Elle ne me traitait ni en adulte, ni en enfant mais plutôt comme un personnage de roman. Un roman qu’elle aimait beaucoup et tendrement et dans lequel elle se plongeait à tout instant. Elle ne voulait entendre parler ni de tracas, ni de tristesse. — Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de nous en priver. Alors je lui racontais ma journée imaginaire et elle tapait frénétiquement dans ses mains en gloussant : — Quelle journée mon enfant adoré, quelle journée, je suis bien contente pour vous, vous avez dû bien vous amuser ! Puis elle me couvrait de baisers. Elle me picorait disait-elle, j’aimais beaucoup me faire picorer par elle. Chaque matin, après avoir reçu son prénom quotidien, elle me confiait un de ses gants en velours fraîchement parfumé pour que toute la journée sa main puisse me guider. […] Je mentais à l’endroit chez moi et à l’envers à l’école, c’était compliqué pour moi, mais plus simple pour les autres. […]Tout le monde faisait des petits mensonges parce que pour la tranquillité c’était mieux que la vérité, rien que la vérité, toute la vérité.

Ma suggestion

Dans la famille d’ « En attendant Bojangles », on apprend au fils à se comporter comme un personnage de roman. Et chacun, pour rendre la vie plus belle et la folie de la mère plus douce, fait des mensonges qui valent toujours mieux que la vérité… Chacun transforme la réalité quand elle est trop ennuyeuse, trop triste ou tragique. La vie semble si belle quand on y met un peu de folie…

[…] Le temps d’un cocktail, d’une danse, une femme folle et chapeautée d’ailes, m’avait rendu fou d’elle en m’invitant à partager sa démence.

[…] Cette folie, je l’avais accueillie à bras ouverts, puis je les avais refermés pour la serrer fort et m’en imprégner, mais je craignais qu’une telle folie douce ne soit pas éternelle. Pour elle, le réel n’existait pas écrit le père dans ses carnets.

Pour évoquer la folie, Olivier Bourdeaut évacue les mots du réel au profit de la poésie et de la fantaisie, même quand on passe de la folie douce à la folie dure…, du rire aux larmes…Cette douce marginalité, ces pieds de nez perpétuels à la réalité, ces bras d’honneur aux conventions, aux horloges, aux saisons, ces langues tirées aux qu’en-dira-t-on…

Vous allez imaginer un personnage qui, pour ceux qu’il aime, « quand la réalité est banale et triste », ou même tragique, invente une belle histoire, ou bien raconte une journée enjolivée…

Comme peut le faire l’oncle d’Amérique, qui se fait passer pour un aventurier afin de faire rêver ses neveux, comme l’immigré parti pour aider sa famille, qui s’invente une réussite pour cacher sa misère, comme ce malade qui simule une belle santé pour ménager son entourage, ou encore comme le père du film « La Vie est belle » de Roberto Benigni qui travestit l’horreur du camp de concentration où il est interné avec son petit garçon, en lui racontant que c’est un parc d’attraction, ou comme le fils de «Good bye Lenine» qui tente de ménager sa mère en lui cachant la chute du mur de Berlin survenue pendant son coma de plusieurs mois… Bref, des histoires auxquelles on a tous envie de croire.

Vous allez d’abord imaginer votre personnage qui a des raisons d’enjoliver la vie pour quelqu’un d’autre, et qui raconte – comme dans le roman – « des balivernes, des bobards, … on botte le cul à la raison, on fait de beaux mensonges par amour, pour chasser l’ennui, ignorer la réalité qu’on refuse, enchanter le quotidien, prendre un autre chemin que celui de la raison…

Puis vous écrirez un petit récit : le récit, à posteriori, d’un personnage qui se souvient des beaux mensonges, à l’endroit ou à l’envers, qu’il a inventés par amour pour quelqu’un.

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Lecture

J’ai eu un véritable coup de cœur pour ce roman avant d’en connaître le succès. En attendant Bojangles est le premier roman d’Olivier Bourdeaut, jeune auteur de 35 ans, en moins de trois mois déjà traduit en 12 langues, vendu à plus de 90.000 exemplaires, trois fois primé, Grand Prix RTL/Lire, Prix du Roman des étudiants France Culture/ Télérama, Prix Roman France-Télévision. Il l’a écrit en opposition à un précédent roman de plus de 500 pages (celui-ci n’en fait que 160), qui jugé trop cynique, sombre et violent, a été refusé par de grands éditeurs. Il l’a voulu « tendre, fantasque, drôle, mélancolique, poétique, léger et pétillant », même quand la folie se fait moins douce… C’est bien écrit, généreux, déjanté, élégant, pudique.

C’est une magnifique histoire d’amour, d’un amour fou, à tous les sens du terme, racontée avec une tendresse et une générosité contagieuses. L’amour et l’humour armes absolues contre la souffrance et la tragédie.

Deux narrateurs, le fils, et le père. L’enfant raconte ce qu’il voit, ce qu’on lui raconte auquel il croit, et c’est écrit à hauteur d’enfant, dont on sent grandir le regard. Et le père raconte la réalité, à travers ses carnets. Les deux points de vue se répondent pour raconter cette épouse et mère fantasque qu’ils adorent, et qu’ils protègent, chacun à sa manière. «C’est le télescopage du récit du même événement vu par des yeux différents. La plupart du temps ce qui fait hurler de rire l’enfant est ce qui accable de tristesse le père» dit Olivier Bourdeaut.

Le mari donne chaque jour un prénom différent à sa femme, ils n’ouvrent jamais leur courrier, renvoient les huissiers, font chaque jour la fête avec leurs amis, dansent tout le temps sur « Mr. Bojangles de Nina Simone, vont vivre leurs rêves dans leur « château » en Espagne avec leur fidèle ami sénateur surnommé « Ordure », et ils ont doté leur fils unique d’une grue de Numidie, Melle Superfétatoire, qui aime les fêtes et dort debout.

Le père écrit dans ses carnets : J’avais rencontré une Don Quichotte en jupe et en bottes, qui, chaque matin, les yeux à peine ouverts et encore gonflés, sautait sur son canasson, frénétiquement lui tapait les flancs, pour partir à l’assaut de ses lointains moulins quotidiens. Elle avait réussi à donner un sens à ma vie en la transformant en un bordel perpétuel. Sa trajectoire était claire, elle avait mille directions, des millions d’horizons, mon rôle consistait à suivre l’intendance en cadence, à lui donner les moyens de vivre ses démences et de ne se préoccuper de rien.

Certains apparentent ce livre à l’optimisme des comédies de Franck Capra, à la fantaisie de l’Écume des jours de Boris Vian, ou au Scott Fitzgerald de Tendre est la nuit, alors qu’Olivier Bourdeaut dit s’être inspiré de Petit déjeuner chez Tiffany de Truman Capote pour le lieu et l’ambiance, et de la vie du couple Scott et Zelda Fitzgerald, fantaisie et folie là aussi… « On a l’impression de danser un boogie avec Boris Vian, de swinguer avec Fitzgerald. »

« J’ai énormément échoué », voilà comment Olivier Bourdeaut, né à Nantes en 1980, définit sa vie. Échoué à l’école, qui le vire assez vite. Ce qui lui permet, en plus de l’absence de télévision chez ses parents, de lire et « rêvasser » beaucoup. Échoué dans sa vie professionnelle, remplie de petits boulots, aussi divers et variés que l’immobilier, responsable de chasseurs de termites, ouvreur de robinets dans un hôpital, factotum dans une maison d’édition de livres scolaires, cueilleur de fleur de sel de Guérande au Croisic… Et, surtout, il a toujours voulu écrire.

 S.de F.

Solange de Fréminville conduit des ateliers d’écriture à Paris pour Aleph-Écriture, notamment un atelier ouvert en librairie, et l’atelier « Écrire avec les auteurs contemporains ».

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