« Le Dimanche des mères », un roman de Graham Swift

Par Juliette Rigondet

Une jeune femme sans racine – et donc, peut-être, plus libre –, soubrette dans le Berkshire entre-deux-guerres. Un amour caché, parmi d’autres secrets. L’incongruité du drame sous un ciel splendide.

Elle s’appelle Jane. C’est une jeune bonne employée par un couple d’aristocrates, les Niven, dans le Berkshire. Jane est orpheline et ses employeurs, eux, ont perdu leurs deux fils à la guerre – nous sommes dans les années 1920.

C’est le « dimanche des mères », ce jour où les employés, exceptionnellement, et depuis peu de temps (parce que « les temps changent », comme le déplore Mr Niven), ont une journée libre pour aller voir leur famille.

Mais Jane n’a pas de famille. Peut-être va-t-elle lire au soleil dans le jardin ? Car Jane sait, et aime lire, on le lui a appris à l’orphelinat, et Mr Niven, surpris par sa curiosité livresque (et touché par cette jeune fille sans parents qui pourrait être la sienne), lui prête quand elle le souhaite un volume de sa bibliothèque – de ces romans d’aventure que ses fils ouvraient et lisaient quand ils étaient encore là ; de ces livres abandonnés maintenant dans cette salle que lui seul fréquente et où il s’enferme peut-être parfois, soupçonne Jane, pour pleurer.

Seulement, le téléphone sonne : l’amant de Jane, Paul, la convoque chez lui pour un dernier moment ensemble – la vie, se dit Jane le cœur battant, se comporte parfois comme un roman.

Paul, c’est le fils d’une autre « grande » famille de la région, voisine des Niven. Il est l’amant de Jane depuis les débuts de leur adolescence. Ensemble ils ont goûté, appris les premiers baisers, les premières étreintes. Puis ils se sont plu, de plus en plus.

Ils ne sont cependant pas du même « monde », et Paul doit se marier dans 15 jours avec une jeune aristocrate. Ses parents ont décidé cela pour le dernier de leurs enfants, le dernier vivant – les deux autres fils des Sheringham sont morts eux aussi pendant la guerre.

Ce roman évoque aussi cela : ce monde de l’entre-deux-guerres, duquel beaucoup de jeunes hommes ont disparu. Beaucoup de familles, de tous milieux, sont affectées par le deuil. Et socialement aussi, ce monde change : une soubrette comme Jane réussira à devenir, comme on l’apprend vite, écrivain.

Cette histoire, c’est d’ailleurs aussi celle de l’entrée dans l’univers de l’écriture et du roman. Par le secret : celui d’un amour défendu ; celui de la naissance de Jane… Autant de possibles à imaginer !

Les personnages prennent peu à peu une belle épaisseur : Jane bien sûr, dont l’énergie, la liberté transpercent le livre ; la cuisinière Milly, qui substitue sans cesse un mot à un autre (orchidée et orpheline, par exemple) et sombre peu à peu dans la folie. Mais encore M. Niven, dont la gangue s’ouvre progressivement pour laisser découvrir délicatesse et humanité. Graham Swift sait mêler subtilement candeur et gravité, légèreté et violence : une parenthèse d’amour joyeuse et (en apparence au moins) insouciante un jour d’adieux ; une jeune fille sereine et nue devant la photo des morts ; le drame sous un ciel splendide… Comme autant d’échos de ce monde d’entre-deux-guerres.

J.R.

Le Dimanche des mères de Graham Swift, Gallimard (« Du monde entier »). Publié en janvier 2017.

Juliette Rigondet est journaliste, notamment pour le magazine « L’Histoire », et auteure. Elle a publié en 2016 « Le Soin de la terre », un récit littéraire aux Éditions Tallandier.

Elle anime des ateliers ouverts en librairie, et des formations à Aleph-écriture, dont: Oser écrire. Son prochain module se déroulera à partir du 23 avril à Paris.

Son prochain atelier ouvert : le 21 mai à la librairie « Comme un roman ».

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