Lors de la Conférence de l’EACWP ont été abordé de nombreux thèmes autour de tables rondes et conférences. Marie-Laure Rossi a animé un atelier sur l’écriture du réel, voici son retour d’expérience.
À mots nouveaux, hommes nouveaux
Lorsque le thème des conférences de l’EAWCP a été annoncé, « Écrire dans le monde réel », j’ai tout de suite pensé que ce sont les mots qui s’imposent dans notre langue, les mots que nous n’osons pas toujours transformer, qui doivent être questionnés en atelier. Il m’a semblé utile de proposer une expérience d’écriture à partir de mots forgés par la Commission d’Enrichissement de la Langue Française dans le but de nommer les réalités issues des innovations de notre époque : « rupture à l’anglaise », « crêpe stellaire », « déprimogène », « comodal », « bétuliculteur »… Cette proposition devait s’intituler « À mots nouveaux, mondes nouveaux » et permettre d’observer quels univers de fiction inexplorés peuvent émerger de l’emploi de ces mots censés nous parler du monde en train d’advenir.
Et puis j’ai testé ma proposition[1] et il s’est avéré qu’il serait plus porteur pour l’écriture d’accompagner les écrivants dans l’élaboration progressive d’un personnage. C’est ainsi que l’atelier proposé s’est orienté vers l’émergence d’une silhouette caractérisée peu à peu, en se laissant guider par le pouvoir d’évocation du mot : ses connotations, ses sonorités, les informations apportées par sa définition. Les écrivants ont ensuite été invités à inscrire leur personnage dans une scène de rencontre romanesque.
Les textes produits lors de l’atelier ont montré que ces mots nouveaux sont difficiles à employer : nous n’avons pas vécu avec, ne les avons pas encore chargés de sensible. Mais ils ont aussi un pouvoir très efficace de déploiement des imaginaires. La « crêpe stellaire », tantôt tissu, matériau artificiel, adolescent déformé par le numérique, aurait pu donner lieu, au terme des lectures, à un article de dictionnaire très fourni. Ces mots nouveaux ouvrent facilement à des imaginaires de science-fiction, cultivent l’étonnement devant les innovations possibles pour notre monde. Ils portent aussi en eux un questionnement ironique ou poétique sur des enjeux très concrets de notre époque : l’avenir écologique du l’humain et de la planète, l’absurdité menaçant le lien social, la possibilité de se comprendre encore dans un monde où tout va trop vite…
Tendre ces mots nouveaux aux écrivants, ce n’est pas leur demander d’actualiser leurs univers, c’est surtout leur permettre de trouver la distance nécessaire pour donner à voir et à sentir un réel critique afin que chacun, auteurs et lecteurs, puisse reprendre le pouvoir sur le monde que façonne le langage.
Marie-Laure Rossi
[1]. Que soient ici remerciés pour leur soutien et leur finesse d’analyse Agathe Leclercq, Vanessa Mandelcwajg, Henri Marcel, Céline Reveyrand et Ludmila Safyane.