« Antonio » de Cyril Castro

Ce texte a été écrit sur une proposition d’écriture de Béatrice Limon à partir de « La ligne de nage » de Julie Otsuka. Il figure parmi les dix textes sélectionnés. 
Cyril Castro 

Antonio

Des fleurs sur un amas de terre surmonté d’une croix, et un portrait dans un cadre : un œillet en boutonnière, un béret, et un sourire. La dictature est derrière lui. Derrière aussi la clandestinité, les rivières traversées à pied, et la RN10 jusqu’à Paris, béret vissé sur sa tête baissée.

Un cabanon dans un bidonville. Ramasser des ordures, porter des gravats, penser aux enfants restés là-bas. Leur payer un passeur, les attendre à la frontière, reprendre la route. Se souvenir de leurs pieds mouillés. Recréer le cocon familial. Travailler encore. Danser parfois, sourire toujours.

Voir ses enfants grandir, puis ses petits-enfants. Les voir arriver et partir chaque dimanche depuis la même fenêtre du même HLM, avec le même béret. L’odeur des frites et du faux-filet. Leurs rires dans la chambre d’amis. Les accueillir dans l’abondance pour oublier le manque.

Les voir moins souvent derrière la fenêtre mais la scruter toujours. Repenser parfois à sa terre, à la maison de son enfance, à un jet de pierre du cimetière du village.

Entendre un jour la sonnette, et découvrir ses arrière-petits-enfants. Les rires, les frites, l’abondance. Sourire sous son béret.

Puis les rires un peu moins, la maladie un peu plus. Des vêtements devenus trop grands, une poche cachée sous la chemise. Essayer de se souvenir, puis essayer de se lever. Perdre la tête, mais jamais le sourire.

Le dernier soupir, et le retour sur sa terre. Sourire pour l’éternité. A un jet de pierre de sa maison d’enfance.

C.C.