Catherine Humbert

Ce jour-là elle marchait le long du long mur fredonnant ses chansons habituelles, elle ne savait plus lesquelles tellement il y en avait qui lui trottaient dans la tête, des chansons qui la faisait marcher au pas pour certaines ou glisser pour d’autres ou tournoyer sur la pointe des pieds ou encore talon pointe et pas de polka, des chansons où il était question de murs et de châteaux et de prisons et de princesses qui se faisaient enlever par de preux chevaliers ou par des brigands hirsutes ou même par des monstres verts au dos hérissé de crêtes à la langue pendante et gluante au souffle sulfuré qui demanderaient une rançon en or à son père ou un cheval ou un navire pour partir avec elle au loin-très-loin, mais au fond d’elle elle s’en fichait de tout cela ce n’était que des mots et de petits airs et en plus elle n’avait pas de père et pas de sous encore moins d’or et pas de cheval et pas de navire pour partir au loin et ce mur-là n’était pas le mur d’un château mais le mur du chemin qui la menait au village où elle devait acheter mais mais mais quoi acheter déjà, crotte de bique de zut de flûte elle n’avait plus rien dans la tête que ces fichues chansons et même quand elle cherchait à y accrocher les images de sa maison et de ce qui pouvait y manquer pour retrouver ce qu’elle devait acheter, ces chansons la reprenaient et encore de nouvelles avec galettes fromages et petit pois cela n’en finissait pas et ce fut à ce moment-là, bien choisi vraiment le moment, que Jupiter frappa un grand coup qui mit fin aux chansons d’abord puis fit déferler sur elle et sur le mur et sur le chemin une pluie torrentielle et un vent impétueux et à peine fut-elle mouillée, mouillée non je veux dire trempée en quelques secondes là même détrempée des pieds à la tête complètement ruisselante dos au mur ruisselant, à peine commença-t-elle à penser que son oubli ce n’était pas si grave et même pas grave du tout puisqu’avec cette pluie ce déluge la sagesse était de rebrousser chemin comme on le lui avait dit parce que quand il pleuvait et tonnait le mieux était de rentrer s’abriter chez elle avant d’avoir acheté quoi que soit qui d’ailleurs aurait été aussi trempé qu’elle donc, à peine se résolut-elle à faire demi-tour pour être enfin sage que d’un seul coup d’un seul d’un changement brutal d’humeur comme il se plaisait si bien à le faire, Jupiter après un dernier et long et sourd roulement de tambour abandonna le terrain et s’en alla au loin s’essayer de sa grosse voix sur les flancs de la montagne, à la grande joie du soleil qui aussitôt s’installa royalement illuminant les flaques du chemin faisant scintiller les pousses vert vif de la haie d’en face et sécher ses mèches dégoulinantes collées à ses joues et lui réchauffer la tête et les épaules et petit à petit tout le corps tandis que derrière elle le mur lui semblait rire dans son ultime ruissellement, d’un rire contagieux qui la saisit à son tour et qui redoubla quand elle regarda sa jupe brune collée en fuseau le long de ses hanches et de ses cuisses et qu’elle vit que ses bottes sur lesquelles le vent et la pluie avaient plaqué des brindilles et des feuilles et les en avaient quasiment recouvertes, étaient maintenant profondément enfoncées dans le sol et l’y avait ancrée elle-même complètement, tant et si bien qu’elle en sentit monter une force qui gagna son dos et jusqu’à sa tête qui se dressa très haut vers le ciel une force qui se prolongea jusqu’à ses bras s’élevant à la hauteur de ses épaules se courbant ondulant jusqu’au bout de ses doigts dessinant ainsi la frondaison qu’elle y ferait naître bientôt, car elle le sut alors, ce n’était pas princesse qu’elle deviendrait, mais arbre dense et généreux, et elle n’aurait plus jamais besoin d’aller au village acheter des dieux sait quoi, mais là, près du mur, elle se nourrirait simplement du soleil et de la pluie, et que le vent la ferait danser elle, et ses feuilles, et les plus souples de ses branches .

Un point c’est tout.

C.H.