Sophie Destribats

Titou s’était réveillé en sueur. Il faisait trop chaud. L’air lui desséchait la gorge et les narines, pourtant il faisait lourd. Il se sentait comme compressé sur son matelas par une main invisible. Il dut faire un effort pour tourner la tête vers le réveil. 16h42, il avait largement dépassé l’heure de la sieste. Ça le rendit furieux, cela donnait raison à Cervantès qui l’avait quasiment obligé à aller se coucher tant il était grognon et fatigué. Il était vraiment fâché contre Cervantès.

Il était fâché d’être ici, à Paris, dans le grand appartement de M. Ito où étaient désormais sa chambre, son lit, ses affaires. Il avait quitté Simla pour toujours, sa maison sur les collines, Ayat, ses copains, et son vieux chien Prooû qui devait être mort de chagrin à présent. Quand Cervantès l’avait vu pleurer devant son bol de chocolat, juste un peu, c’étaient des larmes qui coulaient toutes seules, il lui avait dit qu’il pensait à Prooû qui devait se sentir abandonné, trahi. Il n’était pas question que Cervantès croie qu’il pleurait pour autre chose et aille le dire à M. Ito. Cervantès lui avait coupé une grosse part de tarte aux pommes caramélisées qui était tellement bonne et lui avait dit de ne pas s’inquiéter, que le chagrin des hommes et des bêtes leur passait du moment qu’ils avaient l’estomac plein. Ce n’était pas vrai, même s’il avait mangé la tarte et même s’il avait aimé la manger, jamais il n’oublierait l’Inde, jamais il n’aimerait vivre ici.

Tout à coup il pensa au gros chat de la maison, Abitibiwatanassi, au rendez-vous secret qu’ils avaient eu sur les toits, aux grands arbres du jardin du Luxembourg qu’on apercevait de l’autre côté du boulevard. Alors il eut envie de se lever et d’y aller, en cachette. Il n’avait envie de voir personne, de parler à personne. Il enfila des baskets pour ne pas déraper sur le zinc et se faufila dans le couloir. L’appartement était désert. Il fallait rejoindre la cuisine et, à l’arrière, passer par le cellier dont la fenêtre ouvrait sur un premier toit. Il avait vu Abitibi sauter et il l’avait suivi. On partait sur la gauche et là il fallait franchir le vide d’une petite cour et on arrivait sur les vrais toits avec les cheminées et la vue sur le ciel et sur le jardin. Pour un chat c’était très facile ; lui il avait eu un tout petit peu peur, de sauter surtout, et après il fallait quand-même faire bien attention à ne pas glisser. Il faisait vraiment lourd, un peu comme avant la mousson mais en moins moite. Sans Abitibi, c’était plus difficile mais il n’était pas un dégonflé. Allez, ne pas regarder en bas, sauter au-dessus du vide, puis escalader la pente jusqu’à la cheminée. Il s’assit prudemment en haut de la pente qui donnait sur le boulevard, la cheminée n’offrait pas vraiment de prise mais c’était un appui rassurant. Son cœur battait très fort, ça avait été moins facile que la première fois.

Abitibi surgit de derrière la cheminée et vint s’asseoir à ses côtés. Apaisé par la présence du chat, Titou put enfin regarder le grand jardin. Le ciel avait pris une drôle de couleur boueuse, l’air était immobile et tout semblait figé, comme si le temps s’était arrêté, puis les arbres se mirent à frissonner, un souffle d’air froid fit chuter la température, le ciel devint noir, un premier éclair le déchira et la pluie se mit à tomber, trempant d’un coup le chat et l’enfant. Titou voulut se redresser, le zinc était devenu glissant, il dut renoncer. Il s’aperçut alors qu’Abitibi avait disparu. Le tonnerre grondait de plus en plus proche. Personne ne savait où il était, il était seul, il allait tomber. Ito, surgi de nulle part se dressa à son côté, l’enleva dans ses bras et couru comme un danseur de corde sur la crète du toit jusqu’à un abri. Un banc au sec, sous une toile tendue.

Sous le choc d’être vivant Titou, ne sentait plus ni le froid ni la pluie. Il n’osait pas trop regarder Ito, qui pourtant lui souriait.

— On va rester ici en attendant que ça se calme. Je vois que tu suis mes traces, j’ai commencé à explorer ces toits à ton âge.

— Il va bien Abitibi ?

— Très bien, c’est lui qui est venu nous chercher, tu sais ? Tu as sauté, par-dessus la courette, tu es courageux, un peu fou mais courageux. On va repartir par un chemin moins dangereux.

Les éclairs zébraient le ciel qui grondait, ils étaient trempés, Titou n’avait plus peur de l’orage, ni de M. Ito. Il était venu le chercher, sous la pluie, il lui montrerait d’autres chemins pour aller sur le toit et Abitibi ne l’avait pas abandonné.

— Tu n’es pas tout seul tu sais.

Titou aurait bien mis sa main dans la main de M.Ito, au lieu de quoi il demanda si Cervantès était fâché.

— Je crois qu’il nous prépare du chocolat. Ça va aller Titou ? Paris, ça va aller ?

Titou regardait les arbres trempés du grand jardin, les lumières jaunes qui s’allumaient dans les appartements d’en face, peut-être y avait-t-il ici une nouvelle vie à vivre. Il tendit sa main à Ito et dit résolument :

— Oui ça va aller, maintenant.

S.D.