A l’occasion du lancement de la troisième saison de l’atelier-formation « Ecrire et éditer son histoire de vie« , nous avons rencontré Alain Duchâteau qui a suivi l’atelier-formation de cette année. Il vient d’éditer son livre auprès de Bayard Service, le partenaire d’Aleph-Écriture, et nous raconte son parcours autour de l’écriture de son livre, et ce qu’il y a découvert.
L’Inventoire : J’ai découvert sur la 4ème de couverture de votre livre qu’« après une vie professionnelle consacrée aux chiffres, vous saisissez l’occasion de la retraite pour revenir aux lettres de votre famille et en partager les pages les plus émouvantes ». Est-ce la découverte de ces lettres qui a déclenché l’envie de vous lancer dans l’aventure de cette formation ?
Alain Duchâteau : J’ai découvert ces lettres dans les archives de mon père, quelques mois après son décès. Ces lettres racontent la vie quotidienne de certains de mes ascendants depuis 1830.
Ce qui m’a frappé à leur lecture, c’est le décalage entre l’image familiale de ces ascendants dans les récits de famille et la réalité « privée » contenues dans leurs lettres.
Un de mes arrière-arrière-grand-père, une figure patriarcale très austère, a écrit à sa femme, partie chez ses parents se remettre d’une naissance difficile : « Ton silence me tue !». Ce cri d’angoisse devant le sort de sa femme et de son enfant me dit aujourd’hui le désarroi de cet homme, toujours présenté dans la légende familiale comme très sûr de lui. J’ai souhaité brosser quelques portraits de mes ascendants, comme un restaurateur peut redécouvrir les couleurs originales d’un tableau.
La transmission de l’histoire familiale était-elle une nécessité pour vous ?
J’ai écrit ce livre comme un hommage à mon père qui avait réuni une quantité impressionnante d’anecdotes et de tableaux généalogiques dans plusieurs ouvrages, que j’avais jusque-là très peu consultés. C’est aussi un hommage à ma mère et à mes grands-parents qui m’ont laissé des écrits de leur jeunesse. Mais j’écris aussi pour mes enfants et mon épouse, ma fratrie, mes neveux et nièces, avec le souci de rester dans l’anecdote, d’illustrer ces portraits de photos, pour leur donner envie de s’intéresser à leurs aïeux, et en espérant que d’autres récits viennent ensuite prolonger ce récit familial. Je suis impressionné par la capacité des écrits à traverser le temps ; que restera-t-il de nos SMS, des heures passées sur les réseaux sociaux ?
Aviez-vous une pratique de l’écriture avant de suivre cet atelier ?
J’avais une pratique d’atelier d’écriture à visée créative, mais ce travail a été possible grâce au parcours des récits de vie proposé par Aleph et le groupe Bayard. Delphine Tranier-Brad a été une excellente animatrice, avec des objectifs clairement identifiés et une grande capacité d’adaptation pour permettre à chaque membre de notre atelier d’aller au terme de son projet. Le groupe Bayard a été très à l’écoute dans la mise en page du livre et son impression est d’une grande qualité.
Comment avez-vous opéré des choix dans l’abondante documentation familiale ? Vous êtes-vous laissé porter par ce qu’évoquaient certaines photos des albums ?
La correspondance familiale représente plus de 70 classeurs et je suis loin d’avoir tout lu ! Pour ne pas être enseveli par cette documentation, je me suis intéressé aux portraits de mes proches : parents, grands-parents, arrière-grands-parents pour lesquels j’avais le plus de souvenirs personnels et/ou de documentation disponible. Le choix des photos est venu une fois les portraits rédigés, pour illustrer ou compléter. J’ai pu m’appuyer sur une numérisation et un descriptif des photos de famille réalisée par mon père puis par l’ajout récent d’un moteur de recherche sur ces photos conçu par mon plus jeune frère, brillant informaticien.
Avez-vous dû recueillir des anecdotes auprès de votre famille, et vos enfants vous ont-ils aidé dans cette entreprise ?
Beaucoup d’anecdotes étaient déjà disponibles, mais j’ai recherché le contexte familial et historique dans lequel elles s’inscrivaient ; une de mes filles, qui écrit beaucoup, a relu le manuscrit et m’a pointé les incompréhensions qu’il soulevait ; une autre de mes filles, qui est peintre, a réalisé la couverture.
Avez-vous été obligé de faire des choix parmi ces portraits de famille ?
Oui, le format proposé, d’une soixantaine de pages, est assez contraignant, ce qui est une très bonne chose pour respecter les délais de publication et ne pas lasser les lecteurs.
L’atelier-formation est composé de modules abordant des angles différents du récit biographique. Quel module vous a permis d’entrer dans votre sujet ou votre module préféré ?
Les propositions sont variées pour déclencher l’écriture. Chaque récit est comme une pièce d’un puzzle, mais le plus excitant est de réaliser que ces pièces jusque là dispersées et autonomes peuvent être rassemblées dans un récit continu, moyennant une attention à la cohérence d’ensemble et le souci de ménager les transitions.
Que vous ont apporté les propositions d’écriture et l’écoute du groupe formé par les participants pour travailler à votre récit ?
Les propositions visent d’abord à s’autoriser à écrire sur soi ou sur sa famille, car il n’y a pas de pire censeur que nous-mêmes. Elles visent ensuite à clarifier pour chacun l’enjeu de ce travail d’écriture, même s’il n’est pas explicite dans le récit. L’écoute bienveillante de l’animatrice et des participantes ainsi que les retours sur les projets ont été essentiels pour me permettre d’avancer dans ce travail jusqu’à son terme.
Puis-je vous demander de livrer au lecteur la première phrase de votre livre ?
Et si Tolstoï s’était trompé au début d’Anna Karénine ? Et si, finalement, les familles heureuses avaient bien une histoire ? Longtemps, j’ai cru que ma vie se construisait au présent, jour après jour. Aujourd’hui, curieux des généalogies et des correspondances de mes aïeux, j’entrevois que ma vie n’est qu’un maillon dans une histoire de plusieurs siècles.
Le meilleur souvenir de cette formation ?
Quand les questions de l’animatrice, Delphine Tranier-Brard, sur mon enjeu dans ce travail d’écriture m’ont fait remonter à la mémoire une devinette de mon père :
« Comment mettre un crocodile dans une boîte d’allumettes ? » La réponse était : « prendre une paire de jumelles et une pince à épiler, puis retourner les jumelles, le crocodile devient alors tout petit, le prendre avec la pince et le déposer dans la boîte d’allumettes. »
J’ai réalisé à ce moment là que ce travail me permettrait de faire le deuil de mon père en prenant de la distance par rapport à ses dernières années de vie et que refermer un tombeau désignait autrefois la conclusion d’un hommage funèbre.
Merci Alain.
L’école de Lyon propose un atelier préparatoire et découverte le 4 mars 2024.
Les prochaines sessions démarrent à Paris le 4 mars en présentiel, le 7 mars en distanciel et à Lyon le 18 mars 2024.