Grain de sel
Le sable est un rêve éteint.
Le père est ce qu’il porte.
Ce soir, il porte une tenue de gardien de nuit.
Les pensées de la foule font du bruit.
Les lampadaires étendent quelques ombres de seconde main.
Le présent est décroché du réel.
Au camion pizza, le père délègue la commande.
Une 4 fromages pour le petit frère.
Une piquante pour moi.
Nous irons manger sur la plage.
Les boites à pizza réchauffent mes cuisses.
Je suis abruti par la fierté.
La mâchoire du père est belle de profil.
Je voudrais de la neige au bord de la mer.
Les vacances sont toujours passées.
Il n’y a une incertitude météorologique.
Ce temps où la pluie se fait attendre et le soleil oublier.
Il y a le monde effacé autour de nous.
Un grain de sable craque sous ma dent.
Le frère fait la roue.
J’ai envie d’une discussion profonde.
Le lieu est isolé.
La nuit paraît plus vaste.
Le jour, on se heurte toujours à quelque chose.
Je parle.
Le vent froisse tout.
Le père muet s’attaque à la 4 fromages.
Les incisives arrachent.
Tout est englouti.
Au gré des courants,
Les puffins, et les mots d’enfants,
S’épandent sans destinataires précis.
Sommes-nous vraiment ensemble ?
J’ai du sable dans les pensées.
Les vagues creusent un trou dans l’air
Et répètent ce qu’elles ignorent.
Sous l’une d’elle, l’enfant rit ou pleure de la même façon.
Une vague se brise,
L’écume indique qu'elle ne peut plus grandir.
Certaines vagues continuent, elles, de croître, même après leur rupture.
Kafka n’aurait rien compris de plus,
Mais il aurait continué à demander…
Je recherche une vague identique.
Je veux rester ici.
Demain, ce chemin n’existera plus.
Dès la première bouchée, la sensation est vive.
Elle occupe tout.
Le piment brûle.
J’ai commandé cette souffrance.
J’accepte le goût qui saigne sur ma langue.
Je le mange.
Je me répète que la brûlure fera de moi un homme.
J’avale presque sans mâcher.
Je suis le fils d’un lieu où tout s’effondre.
Plus je me force, plus je rétrécis
Dans une nuit immense.
Tout près, la mer soupire pour moi.
Dès que je peux,
Je souffle dans le vent.
Je ne trouve plus les mots, la piqûre seulement.
Et le père me dévisage.
J’ai presque tout laissé.
Suis-je parfois ce que tu veux que je sois ?
Je sais que je t’ai déçu.
Nous négligeons toujours l’essentiel
Sous la tutelle de nos animaux intérieurs.
Le père a oublié les couvertures.
Nous dormirons dans nos vestes.
Il reçoit une convocation secrète
Qui nous arrache du sommeil
Et nous ramène à la mère.
Sur la route, la plage est comme un rêve,
Et le piment s’éteint doucement sur mes lèvres.
Quelque chose renaît ailleurs.