Isabelle Pleskoff : « Écrire l’exil et la migration »

Derrière les chiffres et les appellations – exode, exil, déplacement, transfert, émigration – des vies bouleversées, des pertes, des renaissances. Le thème, présent depuis l’antiquité, est devenu extrêmement puissant dans la littérature des XXème et XXIème siècles. Isabelle Pleskoff vous propose de transformer l’expérience de l’exil en récit, sous la forme de textes narratifs et/ou poétiques au cours de son stage : « Écrire l’exil et la migration » du 8 au 12 janvier 2024.

L’Inventoire : Quels sont les contenus et les enjeux de ce stage ?

Isabelle Pleskoff : Ce stage s’adresse à des personnes dont la famille a été déplacée, chassée de son pays d’origine, coupée de sa langue natale, contrainte de partir en raison de crises économiques ou de changements politiques, décolonisation, guerres, régimes autoritaires, persécution, … des personnes, donc, qui souhaitent transformer des souvenirs, impressions, photos et témoignages en récits littéraires susceptibles d’être transmis.

Il s’adresse évidemment aussi aux celles et ceux qui ont eux-mêmes dû fuir leur pays, le seul pré-requis pour suivre ce stage étant la maîtrise de la langue française écrite.

Au cours des quatre jours (huit sessions), nous allons cheminer en nous appuyant sur des textes sensibles et forts, d’auteurs qui ont relaté leur expérience de la migration et de l’exil sous la forme de récits, romans ou essais, mais aussi par le truchement de romans graphiques ou de films (dont nous visionnerons de courts extraits).

Quant aux différentes thématiques autour desquelles nous allons rayonner, il y a d’abord celles qui ont trait au pays quitté, figures et lieux emblématiques du pays originel, avec la part de mythologie et d’imaginaire qui accompagne souvent ces récits transmis. Puis celles de l’installation plus ou moins aisée dans le pays d’accueil.

On poursuivra avec les questions relatives à l’acquisition de la nouvelle langue, et au magma de l’entre-deux langues que connaissent bien les exilés, ainsi qu’à l’adaptation aux nouveaux codes et spécificités culturelles.

On se penchera ensuite sur ce qui fait communauté, les formes diverses de réunions d’exilés. On réfléchira aussi à ce qui constitue la culture patrimoniale du pays quitté, ce précieux corpus constitué d’objets emportés, de musiques, de plats et de saveurs, et chemin faisant, on s’interrogera sur la transmission de ce patrimoine. On terminera par des textes réflexifs et narratifs sur le feuilletage de ces identités plurielles.

Ne pensez-vous pas que le risque existe de tomber dans une certaine nostalgie douloureuse et/ou idéalisante ?

Certes, si certains écrivains exilés, les dissidents russes par exemple, ont sublimé l’exil par la nostalgie, et si l’expression de la douleur n’est évidemment pas exempte de certains des textes littéraires qui jalonnent le stage, je dois dire qu’on y trouve des tonalités très variées. Ainsi c’est plutôt une forme de colère qui s’exprime chez Polina Panasenko, une jeune femme dont la famille a quitté la Russie pour s’installer à Saint-Étienne quand l’auteure était une enfant, et qui raconte avec une grande finesse la difficulté du dédoublement et son rapport compliqué à la langue, à ses deux langues.

« Gagner dans l’écriture le chemin du merveilleux retour au foyer et à la maison du père ». René Depestre

Et ce sont l’humour et l’ironie, même s’ils sont tissés avec un sous-texte mélancolique, qui prévalent chez Volibor Colic, un Bosniaque qui a fui la guerre qui sévissait dans son pays en 1992, et dont la lecture de Manuel d’exil est un vrai régal.

Ou encore chez certains une oscillation entre la reconnaissance douloureuse de la perte, et la gratitude pour une forme d’élargissement de l’horizon. Le Haïtien René Depestre considère ainsi que ses moi successifs liés à ses différents exils l’auront préparé « à gagner dans l’écriture le chemin du merveilleux retour au foyer et à la maison du père ».

Une belle diversité d’approches donc, dans ce corpus, et toujours, toujours une grande intensité de réflexion qui donne à penser que ces auteurs arrachés à leur pays d’origine ont développé, chemin faisant, une clairvoyance exceptionnelle sur certaines des réalités essentielles de la condition humaine.

Pourquoi avez-vous souhaité développer le thème de l’exil dans un stage d’écriture ?

Je dois dire que ce thème, dont j’ai pu parler amplement avec Marie-Pascale Lescot, collègue d’Aleph que je remercie au passage, m’intéresse beaucoup ; sans doute parce que ma famille, tant maternelle que paternelle, a connu cette expérience au cours du XXe siècle, ce qui m’a permis de m’appuyer, en plus des textes littéraires, sur des attitudes, des questions, des réactions rencontrées et familières, même si évidemment, chaque histoire a sa singularité.

Isabelle Pleskoff a longtemps travaillé au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, à la médiathèque dont elle était responsable, animant des entretiens publics, des ateliers d’écriture et des visites guidées thématiques dans le musée. Aujourd’hui, elle conduit des ateliers d’écriture, accompagne des auteurs, et écrit des biographies. Elle vit entre la Drôme et Barcelone.

Découvrez tous les stages qu’elle anime à Aleph, ici.