Michèle Cléach « Écrire le paysage », en résidence à Portsall (Finistère)

Michèle Cléach animera du 6 au 10 mai 2024 à Portsall un stage résidentiel dans la Demeure Océance (Finistère). Nous lui avons demandé en quoi écrire sur le paysage permet d’aborder l’écriture autrement.

L’Inventoire : Lors de ce séjour, est-il question d’accéder à son écriture par le paysage ?

Michèle Cléach : C’est une possibilité. Je me souviens que, lorsque j’ai proposé cet atelier il y a deux ans, c’était une des motivations d’une participante : lever les blocages qu’elle connaissait depuis quelque temps. Mais ça n’est pas la raison d’être de cet atelier.

Je ne sais pas s’il faut créer une hiérarchie entre l’écriture et le paysage, si l’un permet d’accéder à l’autre ou vice-versa. Je préfère que l’on entende l’expression dans son entièreté, « écrire le paysage ». L’objet de l’écriture c’est le paysage. Ecrire, ici, est transitif ! Mais on peut aussi considérer que, dès lors que l’on écrit, quel que soit l’objet de son écriture, ce sera toujours une façon d’y accéder. Et comme dans tout atelier, le partage des textes enrichit aussi la perception de chacun.e, le regard, la façon de mettre des mots sur un paysage.

« Les solidarités mystérieuses », de Pascal Quignard donne à voir l’alliance entre personnage et paysage.

Écrire le paysage dans un environnement maritime promet d’accéder à des sensations fortes. Pensez-vous à un livre qui évoque ce type de sensations et qui vous ramène vous-même à de bons souvenirs ?

Les paysages maritimes sont extrêmement changeants. Les marées, mais aussi la météo, peuvent modifier le paysage de façon spectaculaire. Le paysage des côtes bretonnes un jour de tempête et de grande marée, n’a rien à voir avec celui qui s’offrira un jour de beau temps, sans vent, et avec un petit coefficient de marée. Les sensations, bien sûr, ne seront pas les mêmes, mais elles peuvent être toutes aussi fortes le jour où on doit lutter contre les éléments et le jour où on a le sentiment d’être « enveloppé » dans le paysage. Parmi les écrivains contemporains, Philippe Le Guillou est sans doute l’auteur qui a le plus intégré le paysage breton, maritime et intérieur, dans ses romans et ses récits. Et il a cette capacité de décrire le même paysage selon l’état d’esprit de ses personnages, lequel paysage, de consolant, peut devenir hostile. Mais il y a des paysages qui nous consolent de tout, même quand on y a connu des drames. Je pense aussi au livre de Pascal Quignard, « les solidarités mystérieuses », dans lequel il donne à voir l’alliance entre personnage et paysage. Mais il y a deux livres que je place au-dessus de tous les autres s’agissant du paysage, c’est « Une vie de paysages » de Béatrice Commengé et « Marée basse » de Pierre Péju . Dans ces deux livres, c’est le paysage qui est au cœur du propos, le paysage à part entière, pas comme un décor où se situerait l’action. Le paysage, et aussi l’écriture.

Un peintre, quand il peint un paysage, le peint comme il le ressent, et deux peintres qui posent leur chevalet au même endroit, ne produisent pas le même tableau.

Écrire le paysage permet de donner un peu d’ampleur à des portraits. Le but est-il de mieux nourrir les récits littéraires  ?

Le but, c’est vraiment d’écrire le paysage, d’affûter son regard ; d’écrire – et décrire – les paysages que l’on a sous les yeux mais aussi ceux que l’on porte en soi. Un peintre, quand il peint un paysage, le peint comme il le ressent, et deux peintres qui posent leur chevalet au même endroit, ne produisent pas le même tableau. C’est de cela dont il s’agit, faire vivre le paysage par l’écriture, le donner à voir, dire ce que le paysage fait en nous, ce qu’il fait de nous, mais aussi ce que nous en faisons. Et si cela nourrit les récits en cours ou à venir, tant mieux, mais ça n’est pas le but !

« Nous sommes les enfants de notre paysage. » Lawrence Durell

Je suis intriguée par la mention dans le descriptif du stage de « dessiner la carte de ses paysages ». Les paysages que nous connaissons nous définissent. À moins qu’ils ne nous aident à découvrir de nouveaux, une fois qu’on les a bien ancrés en nous ?

Quand on donne de l’importance au paysage, on aime à la fois revenir vers ceux qui nous ont constitués et en découvrir de nouveaux. Ce que l’on nomme la mer, ou la montagne, ou la forêt, ces mots-là recouvrent des réalités très différentes. Le paysage méditerranéen n’est pas le même que ceux de la mer du Nord, celui des côtes de la Manche est différent de celui de l’Atlantique, et c’est la même chose pour la montagne, la forêt, la campagne et que dire des paysages urbains ?! On habite dans les paysages et les paysages nous habitent. Nous sommes constitués de différents paysages mais il y en a qui occupent plus de place que d’autres et cela n’a rien à voir avec leur emplacement sur une carte !

Que peut-on attendre de cet atelier : de l’écriture, de la détente et des balades ?

Les trois ! En venant écrire dans un atelier résidentiel, on se détache des préoccupations du quotidien, on laisse derrière soi sa « charge mentale », on est donc plus détendu et plus disponible pour l’écriture. Et on vient aussi pour le lieu, pour l’environnement. Alors, quand le thème de l’atelier est « le paysage », forcément, les balades font partie du programme !

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DP