Astrid de Laage « Virginia Woolf, vivre en écrivant »

Astrid de Laage est l’auteur notamment d’un roman Le ciel bleu n’est pas photogénique, et anime des ateliers pour Aleph-Écriture en Charente-Maritime. Elle a participé à la 26ème Conférence sur Virginia Woolf à Leeds, « Virginia Woolf et son héritage ». Du 1er au 4 Juillet 2021, elle animera un stage en résidence au Ciel de Royan Écrire dans le sillage de Virginia Woolf. Nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous parle de son univers.

L’Inventoire : Vous proposez une résidence d’écriture au Ciel de Royan autour de Virginia Woolf. Pourquoi ce choix ?

Astrid de Laage : Je cherchais quelqu’un pour m’accompagner et me soutenir dans mon désir d’écrire. J’ai découvert Virginia Woolf, l’énergie qu’elle me donne est infinie.

S’il n’y avait qu’une chose à découvrir dans ce stage, ce serait cela : trouver ce lieu, en soi. Vivre en écrivant.

Est-ce un auteur qui vous inspire au quotidien ?

J’ai toujours un livre de Virginia Woolf avec moi. Son journal, ses lettres que je lis en parallèle dedr^ ses romans. Son écriture, très vivante est une compagnie, un soutien dans l’écriture et dans la vie. Marcher dans la campagne ou en ville, en laissant aller ses pensées, c’est pratiquer aussi le flux de conscience, s’ouvrir à la sensation.

Virginia Woolf vivait tout par l’écriture, c’est ce qui m’inspire. S’il n’y avait qu’une chose à découvrir dans ce stage, ce serait cela : trouver ce lieu, en soi. Vivre en écrivant.

En raison des structures narratives qu’elle a inventées ? Il y a différentes voix, différentes dimensions dans l’écriture de Virginia Woolf. Ces différentes voix se conjuguent, s’affrontent parfois. Très spontanée dans les lettres, elle est précise et juste dans la fiction, chercheuse dans ses carnets, toujours en quête de ce filet de sensations qui la traverse, explorant par les mots ce qu’elle ressent pour le comprendre.

La vie alors, et pas seulement l’écriture, devient matière. Pour parvenir à dire ce qui est indicible, elle a inventé d’autres manières (structures narratives, outils) d’entrer dans le récit. L’usage de la métaphore n’est pas artificiel : elle vient du ressenti, elle vient du corps. Mettre cela en pratique dans sa vie, comme dans l’écriture, est une vraie expérience. On ouvre littéralement des « grottes » comme elle aimait à les appeler, dans son écriture et aussi, dans sa vie et celle des personnages. Le style indirect libre est une sorte de caméra qui permet d’être à l’intérieur et à l’extérieur, le passé et le présent. C’est un outil que l’on utilise souvent, dans l’écriture, mais inconsciemment. En le comprenant mieux, on l’écrit et on l’éprouve pleinement. Écrire et vivre en 3D, c’est la modernité de Virginia Woolf !

Que l’on vive une expérience, pas seulement un apprentissage littéraire.

Comment les participants se saisissent-il de l’univers de Virginia Woolf ?

Certains la découvrent, d’autres la chérissent, d’autres encore en ont peut-être peur ! N’oublions pas ce célèbre titre de film, Qui a peur de Virginia Woolf. Oui, elle fait un peu peur, si l’on voit en elle, le génie neurasthénique, au style parfois ampoulé. Une snob. La découverte des différents pans de son œuvre (lettres, journaux, autobiographie, essais) permet de mieux la connaître. De s’en faire une amie, une compagne de papier, car elle est drôle, impertinente. On a aussi le droit de la critiquer, comme l’a fait d’ailleurs Lidia Yuknavitch⁠ dans l’un de ses romans.

Mrs Dalloway, illustrée par Vanessa Bell, 1925

J’apporte toujours avec moi, une caisse de livres de ma bibliothèque personnelle (son œuvre et aussi des biographies, des essais) qu’il est possible d’emprunter pendant le stage. Puis on en parle, de manière vivante, sans complexe. Les thèmes de ses livres sont aussi matière à discussion, qu’est-ce qu’un lieu à soi aujourd’hui ? Quel est son héritage ? La question du genre par exemple. J’ai participé à une conférence à Leeds, sur l’héritage de Virginia Woolf. Et j’étais frappée par la diversité des recherches autour de son œuvre, qui ouvre sur des sujets contemporains – féminisme, genre et transgenre.

Comment se déroule cette résidence (temps de lecture / temps de travail / temps de vagabondage) ?

Le matin est consacré à l’écriture, une proposition suivie d’échanges sur les textes. Je mets aussi l’accent dès le début sur le fait que ce stage est aussi l’occasion de se recentrer, de découvrir en soi, ce qui fait sens, résonne.

Le début de l’après-midi est libre, que l’on ait envie de continuer à écrire ou de vagabonder. On se retrouve alors en fin d’après-midi pour partager (j’ai prévu une surprise pour ce temps-là). Le dîner est pris ensemble, concocté par Le Ciel. Toujours un régal !

La résidence que vous animez sera-t-elle orientée sur la construction d’un roman, de nouvelles ou de fragments ?

Mes propositions permettent de faire le tour des différentes formes dont VW s’est emparée et à la manière dont elle incorporait l’écriture à sa vie. Nous expérimenterons bien sûr, les outils qu’elle a inventés pour s’approprier les sensations, dépoussiérer le roman, lui ôter sa rigidité. Il y aura de la place pour la fiction, pour la non-fiction. Et surtout pour l’incursion : comment dire l’intériorité, comment l’écrire ?

Quels auteurs d’aujourd’hui sont à votre avis des héritiers formels de Virginia Woolf ?

J’ai plutôt envie de travailler par affinité, plutôt que par héritage formel. Aujourd’hui, je pense à la Nancy Huston de Une adoration, à Nina Bouraoui, à Léonor de Recondo, à Laurent Mauvignier.

Qu’a de particulier et d’attrayant le site du Ciel de Royan ?

À Royan, nous ne sommes pas loin de la promenade au phare ! Et le Ciel est un lieu propice à l’écriture, par sa beauté, la présence partout de livres, de recoins pour écrire, la gentillesse de Véronique qui souhaite donner à ce lieu, une vocation de résidence pluridisciplinaires.

Cela me fait penser au groupe de Bloomsbury dont Virginia Woolf faisait partie, écrivains, peintres, poètes ou philosophes liberté s’y retrouvaient. C’est un peu l’idée de cet atelier d’être dans un partage, l’ouverture.

Pouvez-vous nous citer une phrase de Virginia Woolf en conclusion ?

Celle qui m’habite en ce moment, qui est aussi le titre d’un recueil de ses lettres : « ce que je suis en réalité demeure inconnu ». Et l’inconnu, c’est une aventure humaine, un territoire à explorer, par le biais de l’écriture.

« Écrire, c’est découvrir une partie de soi qu’on ne connaissait pas. L’atelier accompagne cette exploration, c’est l’ouverture de tous les possibles. »

Merci Astrid de Laage

Plus d’informations sur ce stage ici

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