Frank Secka: Écrire à Prague avec Kafka du 19 au 23 août 2018

Franck Secka est l’auteur de plusieurs romans, ainsi que de contes et de nouvelles pour la jeunesse. Il animera pour Aleph-Écriture : « Écrire avec Kafka » du 19 au 23 août 2018, à Prague. Il nous parle ici de son parcours et de sa conception de l’écriture.

 

L’Inventoire : Quel est votre parcours professionnel, et comment êtes-vous devenu écrivain ?

Frank Secka : Je ne me considère pas comme un écrivain. Depuis l’enfance, j’ai plaisir à fabriquer des objets pour les partager. Roman, pop-up, conte, animation, BD, vidéo, 3D, graphisme, atelier… tant qu’on m’offre la liberté de produire des formes et d’en vivre, je suis heureux.

L’Inventoire : Qu’est-ce qui vous a amené à animer des ateliers d’écriture pour Aleph-Écriture ?

FS : Quand j’ai publié mon premier roman au Rouergue, la collection changeait d’identité graphique et les options retenues ne me plaisaient pas tellement. J’ai proposé à mon tour un principe de couverture, il a été choisi. Une des premières que j’ai réalisée était celle d’un recueil d’Isabelle Rossignol. Celle-ci a eu la bonne idée de me présenter à Alain André, qui m’a gentiment invité à concevoir un atelier pour Aleph-Écriture.

L’Inventoire : Vous animez un stage qui s’intitule Techniques narratives. En France, il est peu question de « techniques » dans l’écriture. Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les techniques narratives ?

FS : Dans les facultés de lettres anglo-saxonnes, il y a toujours eu un cursus réservé aux aspirants écrivains. Chez nous, cela commence à peine à se faire. Les auteurs français se sont longtemps comportés comme s’ils écrivaient sous la dictée des muses.

Pour expliquer ce que sont les techniques narratives, j’utilise souvent la métaphore des nombres. Les nombres n’existent pas dans la nature mais ils sont opérants. La nature, dans ses manifestations, semble ainsi répondre aux lois de la physique, ce qui est assez paradoxal.

Les techniques narratives, de La Poétique d’Aristote à Story de Robert McKee, sont un peu les nombres de la dramaturgie — c’est une théorie personnelle. Selon moi, dans son ouvrage, Aristote n’a pas édicté ex nihilo des règles que les auteurs suivraient aveuglément depuis, il a plutôt mis à jour ce dont un être humain a besoin, naturellement, pour jouir pleinement d’une histoire qu’on lui raconte. Les contes issus de la tradition orale recouraient déjà à ces principes.

L’Inventoire : Savoir écrire, c’est une question de technique ?

FS: Non. J’explique souvent aux écrivants qu’en fermant un roman qui nous a plu, on se souvient d’une scène, d’un personnage, d’une voix… et non — fort heureusement — des techniques narratives mises en œuvre par l’auteur. Ce n’en sont pas moins ces mêmes techniques, qui nous auront permis de lire ce texte jusqu’au bout et de l’apprécier globalement comme une forme préhensible.

Ceci dit, parmi mes ouvrages préférés, il y a Les cahiers de Malte Laurids Brigge, de Rainer Maria Rilke, et j’assume que ce texte échappe manifestement aux canons de la dramaturgie.

L’Inventoire : Pouvez-vous nous donner un exemple de technique narrative et de son utilisation?

FS: L’ironie dramatique est un exemple intéressant.

Dans ses entretiens avec Truffaut et Chabrol, Hitchcock affirme qu’il faut toujours que le spectateur en sache le plus possible, et même qu’il soit en avance sur les protagonistes de l’histoire. C’est un des principes du suspense. Le spectateur sait quelque chose que les personnages du film ignorent — une bombe est cachée sous la table. Il en va de même dans le burlesque, l’épouvante, le mélodrame… dans toutes les formes narratives où la technique est la plus opérante.

Mais cela vaut aussi pour la littérature générale. Imaginons que, dans Cyrano de Bergerac, le spectateur ignore que c’est Cyrano, et non Christian, qui rédige les lettres destinées à Roxane, la dramaturgie de la pièce ne fonctionnerait plus. Dans Les Misérables, le lecteur est un des seuls à savoir que Jean Valjean et Monsieur Madeleine sont une seule personne. Les exemples sont légion. L’ironie dramatique est un outil puissant auquel peu d’écrivants recourent spontanément.

Si je peux me permettre un second exemple, je prendrais celui de l’activité dramatique — il s’agit cette fois d’écriture et non de construction. Je suis persuadé qu’un roman ne peut s’imposer comme forme vivante que lorsqu’il laisse la possibilité d’une compréhension autonome. On pourrait ainsi avancer que, dans un bon roman, l’essentiel de ce qui sera ressenti par le lecteur n’a pas été écrit, mais que l’auteur, par le biais de l’activité des protagonistes, de l’enchaînement des situations, etc. nous a généreusement offert l’opportunité de le percevoir. Ceci est assez bien résumé dans le fameux Show, don’t tell anglo-saxon. Au fil des ateliers de techniques narratives, nous faisons la chasse aux explications.

L’Inventoire : Les participants au cycle long ont pour objectif d’écrire un roman. Cela demande beaucoup de travail entre les ateliers ? 

FS : Le cycle I propose, après une première partie théorique, la mise en forme d’un projet virtuel. Ce projet n’est pas voué à aboutir, mais destiné à explorer. Plusieurs écrivants ont néanmoins mené ce projet à terme, certains l’ont même publié.

Pour ce cycle I, deux heures d’écriture hebdomadaire, hors atelier, sont suffisantes.

Le cycle II s’articule autour de la possibilité, pour chaque écrivant, d’achever la mise en forme d’une fiction longue. Aucune garantie ne peut être donnée quant à la réussite de cet objectif mais il est clair que, sans une bonne demi-journée de travail hebdomadaire, le projet se donnera peu de chance d’aboutir.

L’Inventoire : Vous animez un stage, Écrire à Prague avec Kafka, pourquoi avoir choisi Kafka ?

FS : Kafka est l’écrivain que je connais le mieux. Je ne parle pas de connaissance savante. Disons que j’ai rencontré Kafka et que nous sommes devenus amis. Nouvelles, romans, lettres, journal… je crois avoir tout lu.

La première fois que je me suis plongé dans une des biographies qui lui ont été consacrées, quelque chose d’inattendu s’est produit. à la fin de cette biographie, Kafka meurt. J’ai appris la nouvelle dans une petite brasserie dans laquelle j’avais l’habitude de lire à cette époque. J’étais bouleversé. Lorsque je suis rentré chez moi et qu’un premier miroir m’a renvoyé mon image, j’ai constaté que mon visage était jonché de plaques rouges. En soulevant mon tee-shirt, il m’est apparu que mon corps entier en était aussi couvert. Cela ne m’était jamais arrivé, cela ne s’est jamais reproduit.

L’Inventoire : En quoi va consister ce stage ? Kafka est un prétexte déclencheur ou sera-t-il au centre des propositions d’écriture ?

FS :  Kafka sera l’un de nos invités. Idéalement, nous l’incarnerons à tour de rôle. Nous en lirons des passages. Des propositions en découleront. Un des ouvrages dont je me munirai, sera un recueil — J’ai connu Kafka — composé de témoignages de personnes célèbres, d’amis intimes et de Pragois anonymes qui l’ont aimé, connu, rencontré, écouté ou simplement croisé. Ensemble, nous parlerons de lui.

L’Inventoire : Pensez-vous qu’on comprenne mieux l’œuvre d’un écrivain en visitant les lieux où il a vécu ?

FS : Non. Cela donnerait à l’écriture un statut bien anecdotique.

L’Inventoire : Que peut-il en rester presqu’un siècle après sa mort ?

FS : Rien, sans doute. Un mug made in Kafka, dans lequel nous éviterons de boire. Un fantasme peut-être. Kafka a marché dans cette rue où, moi aussi, je déambule, il a tourné à droite…
Que reste-t-il de la littérature sans le fantasme ?

La Prague de Kafka devait être très différente de celle de ses contemporains. Elle existe dans ses textes, pas dans la pierre. Pourquoi faire le voyage ? On ne saura jamais pourquoi l’arpenteur du Château, K., cherche le gîte dans cette auberge, après le pont de bois qui menait de la grand-route au village, les yeux levés vers ces hauteurs qui semblaient vides. Le château de Kafka, c’est à Prague qu’il se cache.

L’Inventoire : Faut-il avoir lu (et aimé) Kafka pour participer à ce stage ?

FS : Pas forcément. Au moins faut-il avoir envie de le découvrir — ou de l’inventer. Kafka, comme Dante, comme Sade, est gravé dans la langue. Il a son adjectif. Un adjectif, c’est peu, mais c’est déjà un début.

L’Inventoire : Un apprenti-écrivain doit-il essayer de copier le style de ses auteurs préférés pour comprendre l’écriture ?

FS : Le copier, je ne crois pas. En avoir, de lecture en lecture, une connaissance intime, jusqu’à être capable de prévoir ce qu’il va dire, posera peut-être, à terme, une question intéressante. Comment puis-je me sentir si proche et être si différent de lui ?

L’Inventoire : Quelle est votre œuvre préférée de Kafka et pourquoi ?  

FS : J’ai tout aimé, mais ce qui m’a le plus transporté reste son journal. Quand on est intime avec quelqu’un et qu’on part en voyage, partager la même chambre est tout sauf un sacrifice. Un célèbre extrait de ce journal, daté du 2 août 1914 : L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. — Après-midi piscine.

Entretien réalisé par Nathalie Hegron

Bibliographie

Romans
– Le garçon modèle (éditions du Rouergue, collection La brune, 2003)
– Chbik (dans le recueil Vingt ans pour plus tard, éditions Elyzad, 2009)

Découvrez l’intégralité de ses publications ici

  • Le prochain atelier animé par Frank Secka pour Aleph-Écriture  s’intitule Techniques narratives. Il aura lieu, du lundi 23 avril 2018 au vendredi 27 avril 2018, à Paris  : en savoir + 
  • Frank Secka animera un autre stage d’écriture, Écrire à Prague avec Kafka. Ce stage se déroulera  du dimanche 19 août 2018 au jeudi 23 août 2018, à  Prague : en savoir +