Trois versions du réel au symposium de L’EACWP

Trois approches du réel: L’EACWP (Association des Écoles d’écritures créatives en Europe) ouvrait sa première formation de formateurs en écriture créative au Moulin d’Andé!

La salle de travail. Photo DP

Nourrie de mini-conférences et d’échanges de pratiques entre professeurs venus du monde entier (Belgique, Argentine, Venezuela, Espagne, Grande-Bretagne, Finlande, Pays-Bas, Tchécoslovaquie et France), cette formation internationale était coorganisée par Aleph-Écriture et l’EACWP autour du thème : “Écrire à partir du réel” et articulée sur trois journées, chacune dédiée à un aspect différent du réel.

“Sortir de sa tour d’Ivoire” (animé par Alain André, responsable pédagogique d’Aleph-Écriture)

“Ecritures du Voyage” (Leen van den berg,  professeur à l’Université de Louvain, Belgique), et

“Trouver l’Humain” (Gale Burns, professeur à la Kingston University de Londres).
L’après-midi était dédiée à un échange de pratiques sous forme d’ateliers, afin d’expérimenter les approches pédagogiques de chacun des participants issus contextes culturels différents.

L’Inventoire s’est rendu au Moulin d’Andé où était organisé cet événement du 13 au 15 juillet. Nous publierons cette semaine et jusqu’au 31 juillet tout ce qu’il faut retenir en tant qu’écrivain et apprenti écrivain sur cette très belle formation, riche de multiples pistes d’écriture créative !

« Ecrire à partir du réel : Sortir de sa tour d’ivoire », Alain André

Pour l’ouverture de la conférence de l’EACWP « Teachers Training Course Syllabus » au Moulin d’Andé, Alain André, fondateur d’Aleph-Écriture et responsable pédagogique nous a présenté ce qu’était pour lui « écrire à partir du réel ». Une mini-conférence intitulée « Sortir de sa tour d’ivoire » a ainsi précédé les exercices pratiques à l’extérieur du Moulin d’Andé dont nous avons ramené quelques chroniques. Nous en publierons certaines à titre d’exemple la semaine prochaine.

« Ce qui est impossible c’est simplement le réel » (Jacques Lacan).

Avec une telle entrée en matière, Alain André souhaitait insister sur le fait qu’il existe un réel différent pour chacun et qu’il est impossible de l’épuiser. Comme la plupart d’entre nous écrivent à partir de ce qu’ils ont vécu, vu ou lu, quel meilleur point de départ qu’un atelier reposant sur l’expérience de ce qui sous entoure, et de ce qu’on en fait ?

Mais auparavant, Alain André est revenu sur cette formulation, très courante en France « d’écrire à partir du réel », bien que cela ne soit pas le cas dans d’autres pays. Cette écriture strictement « du réel » a été inaugurée par François Bon et Leslie Kaplan lorsqu’ils ont publié dans les années 80 respectivement « Sortie d’usine » et « L’Excès-l’usine, 1982». Leslie Kaplan a activement participé aux mouvements de mai 68 du côté des ouvriers (à l’usine), nombre de ses textes ont été adaptés au théâtre par la suite.

Plus proche de nous, Nathalie Kuperman a été une des premières à prendre pour sujet le monde du travail  et ses plans de licenciements systématiques pour faire monter les marges brutes des entreprises. Dans son roman, « Nous étions des êtres vivants » (Gallimard, 2010), à mi-chemin entre réel et fiction, se succèdent les points de vue des protagonistes, les réunions syndicales, les plans de reclassement et les drames personnels de manière égale.

Au plus près d’un réel moins politique et social, se situent d’autres écrivains  comme Régis Jauffret « Fragment de la vie des gens » (Éditions Verticales, 2000). Les 56 histoires qui composent ce récit sont ici définies par l’auteur: « On peut écrire un roman d’une page ou de trois mille. J’ai écrit la cinquantaine de  « romans » qui composent Fragments de la vie des gens à la suite l’un de l’autre, pendant deux ans, sans la moindre interruption dans le temps ».

Dans l’actualité littéraire récente, citons encore le roman Inspiré de la vie du peintre Paula M. Becker « Être ici est une splendeur » de Marie Darrieussecq ou encore « 14 Juillet » de Eric Vuillard, revisitant la nuit du 14 juillet 1789. Dans une veine dramatique, citons Laëtizia de Yvan Jablonca (Laëtitia ou la Fin des hommes est une enquête ou « roman vrai », paru en 2016 aux éditions du Seuil), dont la lecture pose à certains la question « quelle proportion de réalité sommes-nous capable de supporter ? », devant le crime sur lequel l’historien revient en le décrivant au plus près (on pourrait d’ailleurs citer à ce titre « California Girls » de Simon Liberati, Grasset, 2016).

Tous ces exemples démontrent combien on peut démarrer une histoire en partant d’un matériau extérieur, pris dans le monde réel: un fait divers, une œuvre picturale, des histoires vraies ou des faits relatés, une entreprise, un mouvement social ou politique dont on ferait partie, ou pas.

Les histoires vraies sont aujourd’hui dans l’air du temps, peut-être en réaction avec la réalité virtuelle qui s’insinue dans tous les aspects de notre vie (surveillance à distance, automation des équipements, casques de réalité virtuelles, etc.) !

La consigne d’Alain André pour écrire une chronique ou courte nouvelle à partir du réel

Sortir se promener 30 minutes et regarder ce qui nous entoure (en l’occurrence le parc du Moulin d’Andé).

Le moment clé où on a commencé à réfléchir à une pensée récurrente en ce moment (y compris un écrit sur lequel on travaille)

et ajouter à cela une préoccupation d’ordre politique ou personnel.

30 minutes, et une page seulement !

Apport pédagogique de la « Chronique du jour »

Moulin d’Andé – La gloriette

Cet exercice vise à permettre à l’écrivant de documenter le réel en y posant son propre regard, tout en revenant à ses propres obsessions. Du fait du contact avec « le réel », nos perceptions modifient le regard qu’on porte habituellement sur ces obsessions.

Très apprécié, cet exercice permet de mettre une bonne ambiance dans un groupe qui se dissémine à l’extérieur, et de nourrir l’écriture de chacun grâce à une belle énergie retrouvée notamment par la marche.

Chaque histoire rapportée par les 15 participants était bien entendu très différente l’une de l’autre, preuve qu’il y a surtout un regard et un ton, une façon de voir, plus qu’un seul réel.

Danièle Pétrès

 

Alain André

Alain André a pris l’initiative de créer Aleph-Écriture en 1985. Auteur de romans, de fictions brèves et d’essais, il conduit des ateliers d’écriture à La Rochelle pour Aleph, dont il est le directeur pédagogique. Il conduit à partir de mars 2017 un module de la « Formation générale à l’écriture littéraire » intitulé : « Écrire à partir du réel ».