« L’inventaire des rêves » ou la nécessité d’écrire selon Chimamanda Ngozi Adichie

Après l’immense succès d’Americanah, son précédent roman, Chimamanda Ngozi Adichie a laissé de côté l’écriture de fiction pendant plus de dix ans. Elle a poursuivi son travail en publiant des textes de non-fiction. Surmonter cette panne était une nécessité pour celle qui estime que le roman est « sa vocation fondamentale ». Elle a le sentiment qu’au décès de sa mère, celle-ci lui a ouvert la porte. Ses personnages étaient de retour.  

Dans L’inventaire des rêves, l’autrice fait justement le portrait de quatre femmes. Chiamaka, Zikora et Omelogor sont des nigérianes cosmopolites qui vivent – en partie – aux Etats-Unis. La dernière, Kadiatou, est guinéenne. Son histoire est librement inspirée de celle de Nafissatou Diallo, la femme de chambre qui a porté plainte pour agression sexuelle et tentative de viol en 2011 contre Dominique Strauss Kahn.

« L’élan créatif peut être insufflé par le désir de redresser un tort, même très indirectement. Dans ce cas précis, de redresser l’équilibre des récits. »

L’autrice américano nigériane a ressenti la nécessité impérieuse de s’emparer de son histoire pour en faire entendre une version différente de celle qui s’est imposée dans les médias après l’abandon des charges contre l’ancien directeur du FMI. Dans la postface de ce roman, elle écrit : « L’élan créatif peut être insufflé par le désir de redresser un tort, même très indirectement. Dans ce cas précis, de redresser l’équilibre des récits. ». Plus loin, elle ajoute : « Des histoires meurent et s’estompent de la mémoire collective simplement parce qu’elles ne sont pas racontées. Ou bien une unique version prédomine car les autres sont réduites au silence. »

Mais comment écrire un texte de fiction à partir d’un fait réel et d’un personnage existant ? Si elle s’est attachée à rester fidèle au récit que Nafissatou Diallo avait fait de son agression, elle explique que Kadiatou n’est pas Nafissatou, puisqu’elle ne connait pas cette dernière. « J’ignore ce que Nafissatou Diallo a ressenti parce qu’il m’est impossible de le savoir, mais je peux l’imaginer en racontant la vie d’un personnage fictif, puis inviter les lecteurs qui le souhaitent à se joindre à ce geste qui lui rend sa dignité. »

Le réel occupe une place importante dans les romans de Chimamanda Ngozie Adichie. L’autre moitié du soleil, son second roman paru en 2006, se déroule pendant la guerre du Biafra. Et l’ascension au pouvoir de Barack Obama est la toile de fond d’Americanah, roman qui retrace le parcours d’une jeune nigériane aux Etats-Unis.

L’autrice estime que « l’art a pour objectif d’observer notre monde et d’en être ému, puis de s’engager à essayer de voir clairement ce monde, l’interpréter, le mettre en question. »

Dans ce qu’on nomme l’écriture du réel, c’est une nécessité intérieure qui pousse l’écrivain à rétablir une vérité. Dans son cas, l’écrivaine nigériane parle au nom de ceux dont la voix est recouverte par d’autres, elle cherche à éclairer une situation à l’aune de plusieurs regards. Dans son récit, elle décentre l’Amérique en faisant parler des femmes africaines, sur le rapport qu’elles entretiennent avec ce pays. Ainsi, elle rend périphérique l’influence de l’Amérique, au profit d’autres continents qui ont un point de vue sur le monde aussi intéressant.

Camille Berta

Camille Berta aime aller à la rencontre de différents publics pour les accompagner sur la voie de l’écriture. Elle anime notamment des ateliers d’écriture littéraire à l’Université et des ateliers à distance dans le cadre de l’Alliance française…

Sensible à l’art et à la photographie, elle aime utiliser l’image pour engager l’écriture. Toutes ses formations ici