Vos textes à partir de Gérard Macé par Marie

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Crédits photographiques: DP

Cette semaine, voici le texte de Marie, en réponse à la consigne d’écriture de Françoise Khoury à partir du livre de Gérard Macé « La carte de l’Empire » (Gallimard, 2014), à découvrir ici.

Noir et rouge

Je me souviens du retour de ma mère, chargée d’un grand carton, et du moment où elle l’ouvrit en écartant le papier de soie. Les tenues grises y reposaient à plat. Nous allions les porter, un ruban de feutre noir cousu sur la manche, nous distinguant ainsi, une année entière, des filles de l’école habillées de bleu. Ma mère attacha un voile de crêpe noir à ses cheveux et son visage surgissait, lunaire et crayeux, lorsqu’elle le soulevait pour nous embrasser. Elle portait un manteau d’astrakan anthracite, fermé au moyen d’agrafes, et des bas noirs opaques.

Je me souviens des plis de nos jupes de Tergal infroissable et du grand ourlet permettant de les rallonger, ainsi que des manches longues, que l’on transformerait en manches courtes pour l’été. Nos genoux dépassaient, cagneux et maigres, tels des pigeons blancs.

Nous les enfants avions droit au gris blanc demi-deuil. Pourquoi n’était-ce pas le tiers deuil, puisque nous étions trois à le partager ? Après un an, les parents passaient au trois quart deuil et nous-mêmes au quart.

Je me souviens qu’on envoyait nos tenues au nettoyage à sec. On décousait les bandes de feutre noir qui risquaient de déteindre. Les jupes revenaient en plis raides comme cartonnés. On épinglait les morceaux de feutre pour aller plus vite. Ils se mettaient de travers. Ma mère portait alors un chapeau en plumes de corbeau, dont elle baissait complètement la voilette. Nous continuions à enfiler nos tenues de Tergal inusable, qui grandissaient avec nous.

Je me souviens du tailleur pied-de-poule noir et blanc de ma mère, qu’elle ramena un jour avec cérémonie, entamant ainsi la sévérité du deuil, dont on retirait le dernier quart. Le terme « pied de poule » était de bonne augure. L’été qui suivit, le soleil lui brûla le dos et la poitrine, quand elle mit pour la première fois une robe décolletée. Sa peau était très rouge. Elle souffrit beaucoup. Je me souviens de son rire.

Marie

 

 

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