Yamina Benahmed Daho : « Poule D » le football féminin a son roman

Alors que la coupe du monde de football féminin vient de débuter, Sylvie Neron-Bancel a interrogé Yamina Benahmed Daho sur son roman « Poule D », qui raconte la saison d’un club féminin de football amateur.

L’Inventoire : Yamina Benahmed Daho, vous avez publié, en 2014, Poule D (L’Arbalète/Gallimard), un roman qui donne la parole à des femmes qui jouent dans un club de foot. La coupe du monde de football féminin vient de débuter, des joueuses lyonnaises font partie de l’équipe de France, vous allez les soutenir ?  

Yamina Benahmed Daho : Poule D raconte la saison d’un club féminin de football amateur, c’est un roman d’apprentissage qui a également une fenêtre sur l’Histoire du football féminin. C’est pourquoi il y est aussi question d’un match de l’Olympique Lyonnais féminin pendant la Champions’ League. Si j’adore cette équipe de l’OL, je supporte évidemment, sans condition, l’équipe de France de Corinne Diacre. C’est une équipe de classe internationale. 23 joueuses de rêve. Elles gagneront cette Coupe du monde, et le passé avec elles, comme je l’ai récemment écrit dans Diacritik. 

Comme  votre héroïne Mina, Yamina, vous jouez au foot.  D’où vous vient cette attirance  pour ce sport ?

Je n’ai joué qu’une seule saison en club. S’il m’arrive d’y jouer un peu encore, je pratique ce qu’on appelle « un foot du dimanche ». J’aime le football depuis l’enfance. J’ai grandi dans une famille ou l’on regardait les matchs, les coupes du monde, les championnats à la télévision. J’aime l’ambiance et l’émotion que procure un match. Un match de quatre-vingt-dix minutes, c’est une histoire qui se déroule en direct, une histoire au sens premier, telle que l’a définie Aristote, avec un début, un milieu, une fin. Ce sont des corps, des vies qui se rencontrent. Le match de football est une forme de narration, c’est ce qui m’intéresse et me plaît. 

Votre narratrice Mina, qui est enseignante, s’inscrit dans un club, va s’entraîner, disputer des matchs, découvrir les stades sans public, les rivalités, les défaites, etc. Comment avez-vous travaillé ce roman à grande part autobiographique?

Quand j’ai joué cette unique saison dans un club de football amateur du Val de Marne. J’ai tout de suite été saisie par ce qui se passait sur le terrain, dans les vestiaires, entre les matchs, pendant les entraînements. 

J’ai tenu un carnet, une sorte de journal, pendant toute la saison. Je publiais certains textes sur un blog, j’en ai gardé d’autres plus secrets. Je savais que je tirerais quelque chose de cette matière narrative, qu’il y avait quelque chose à écrire sur le football féminin. 

L’année suivante, j’ai repris tous ces fragments, j’ai travaillé au roman. J’ai alors choisi ce personnage d’enseignante – moins par souci autobiographique que parce que je trouvais intéressant que le personnage soit une référence aux savoirs dans sa classe et une débutante ignorant tout des techniques de football sur le terrain. J’ai effectué des recherches sur le football féminin, son histoire en Europe et en France. J’ai suivi assidûment, enfin autant que c’était possible car tous les matchs n’étaient pas retransmis, l’OL féminin en m’abonnant à toutes les chaînes de sport, en achetant tous les rares journaux qui en parlaient. 

Ce roman n’est pas exclusivement autobiographique. C’est aussi un récit fictionnel, politique, documentaire. J’ai aussi appris, grâce à Benoît Heimermann lors du colloque « Football et Littérature » qui s’est tenu à l’Institut Lumière en mars dernier, que Poule D est le premier roman sur le football féminin écrit par une femme. 

Vous avez éprouvé le besoin de revenir aux sources du football féminin. Pourquoi ?

C’était surtout une nécessité romanesque. On ne peut pas saisir le présent d’un club féminin de foot amateur s’il n’est pas mis en regard avec l’Histoire de la pratique du football par les femmes, et notamment ses interdits qui ont pesé tôt et longtemps.

C’est pourquoi je raconte la naissance du FC Dick Kerr’s Ladies en Angleterre en 1917, quand des patrons proposent à leurs ouvrières d’occuper les terrains de foot laissés vides par les hommes partis au front puis, à leur retour, l’interdiction de la pratique du football aux femmes. C’est pourquoi je raconte un match de l’OL féminin en 2012, en travaillant formellement sur une écriture du commentaire sportif, laquelle s’attache assez peu à raconter des matchs féminins. Écrire doit servir à cela : à se glisser entre les lignes qui ne sont pas encore écrites pour donner à voir un monde caché, dissimulé. Pour moi, écrire c’est dé-couvrir, au sens de faire apparaître, donner à voir. En cela, j’espère que Poule D a rendu visible le football féminin, tout au moins une partie de son histoire et de ses pratiques.

Equipe de France féminine 2019

Votre roman est un roman d’apprentissage d’une femme qui ne manque pas d’humour, et raconte le quotidien de joueuses dans un monde encore très masculin, patriarcal.  Donner la parole à ces femmes était-ce important pour vous ? 

Je ne crois pas que c’était le moteur premier au moment de l’écriture. Ce qui a primé, c’est le récit d’un apprentissage et la tonalité comique propre au milieu amateur. Il m’a surtout semblé que cela était souvent incarné par des personnages masculins et qu’une transposition romanesque avec des personnages féminins était particulièrement intéressante, du point de vue de l’écriture.

L’oralité, dans Poule D, fait pleinement partie du projet d’écriture. Je ne pouvais pas dissocier le sport de l’expression orale ni le corps du langage oral. Tout match de football est lié à l’oralité (les commentaires sportifs, les interventions depuis le banc de touche, les souffles, le sifflet de l’arbitre, les chants de supporters, les crampons qui résonnent, les cris et les souffles sur le terrain…). 

Je ne sais donc pas si j’ai voulu donner la parole à des joueuses de football – en ai-je le pouvoir?- mais il est certain que j’ai souhaité donner corps à des femmes sur un terrain de football, raconter une histoire de football féminin amateur dans la grande histoire du football féminin.

On suit les matchs, les entraînements, les moments de complicité entre joueuses, les coups de blues, on ressent les souffrances physiques. Votre écriture colle au corps, aux gestes des joueuses. Comment avez-vous travaillé cet enjeu du corps dans l’écriture ? 

J’ai travaillé sur les détails. J’ai passé un temps fou à relever ce qui traverse le corps des joueuses amateures comme professionnelles. Les gestes d’effort, la technique, les blessures, les sons, les mots du corps étaient des marqueurs qui devaient porter l’écriture du roman. Et, comme souvent dans mes livres, le corps physique était aussi l’histoire d’un corps social, qu’il fallait raconter. Un corps de femme sur un terrain de football ne dit pas la même chose d’une société que le corps d’un homme sur ce même terrain. Aborder le corps comme un champ physique mais aussi sémantique et politique, c’était une de mes exigences. Il fallait que l’écriture respire comme les personnages de joueuses, que l’écriture transpire, si je puis dire.

Vous allez suivre les matchs de la coupe du monde de foot, assister à ceux qui se passent  à Lyon ?

Je vais suivre tous les matchs! Mais à la télévision, hélas! Je n’ai pas réussi à trouver des billets pour les matchs à Lyon.

Je suis admirative de cette équipe de France, emmenée par la sélectionneuse Corinne Diacre. Ces joueuses ont eu ou ont parfois un travail à côté, elles portent en elles des années de motivation. Étant donné les difficultés pratiques et idéologiques dans le foot féminin, il faut sacrément du courage et de la confiance pour parvenir à ce niveau professionnel, je les admire. Et puis elles représentent le corps féminin dans son entièreté, loin des clichés de genre.

L’ Équipe de France va gagner cette 9ème Coupe du monde! Ce sera une formidable récompense pour elles, pour le football féminin. Elles nous préparent à une joie historique! 

Dernier roman paru en 2018, De mémoire, L’Arbalète/Gallimard. Copyright photo de tête d’article : Catherine Hélie/Gallimard.

Propos recueillis par Sylvie Neron-Bancel

Atelier ouvert, le lundi 1er juillet, de 19h à 21h, conduit par Sylvie Neron-Bancel, suivi d’une rencontre d’une heure avec l’auteure.