« Un chien à ma table » de Claudie Hunzinger, prix Femina 2022

Pierre Ahnne est écrivain et a créé un blog littéraire, nourrit chaque semaine de ses lectures. Il réalise également des retours sur les manuscrits qui lui sont confiés par Aleph-Écriture dans le cadre des lectures-diagnostics. Il partage cette semaine avec L’Inventoire son article sur le livre « Un chien à ma table » de Claudie Huzinger (Grasset), qui obtenu le prix Femina le 7 novembre dernier.

Pierre Ahnne

Après Bambois, la Survivance, les Hautes-Huttes…, bienvenue aux Bois-Bannis. Chez Sophie et Grieg (ex-Sils, puis Nils). Dans cette maison isolée, quelque part dans les Vosges, où tous deux se sont retirés, il y a une vieille ânesse et des livres. Lui passe son temps à les lire, elle est « écri-vaine » (lui dixit), son dernier roman paru s’intitulait Les Animaux (pas Les Grands Cerfs). Bien sûr, ils se sont rencontrés « à l’école maternelle, après l’annexion de l’Alsace par les nazis, après la guerre, à la Libération » (1).

Claudie Hunzinger raconte toujours la même histoire, et cette histoire ressemble beaucoup à la sienne. On retrouve ici sa fierté parfois un peu insistante de l’avoir vécue, les thèmes aussi qui la parcourent et hantent les ouvrages où elle l’évoque : la nature, et, singulièrement, l’animalité ; la passion des lieux à l’écart et des refuges ; le conflit et, parfois, la complémentarité entre monde naturel et technique, réel et connaissance du réel.

yes I will yes

En même temps, ça n’est jamais la même histoire. Sophie et Grieg sont devenus vieux. « Mon corps était en train de prendre avec moi ses distances », constate-t-elle. Et tous deux « compt[ent] ensemble [leurs] années évanouies ». Depuis « quatre ans », elle n’a « plus bouclé de roman ». Elle se sent « fragile comme jamais encore dans [sa] vie », et, pour tout dire, « en bout de course ». Le monde aussi est devenu (encore plus) vieux. Le sentiment diffus d’une menace plane : la mort, bien sûr, même si les deux complices savent l’exorciser à coups de fantasmes plaisamment macabres ; mais aussi un péril plus général, « le début de la Fin », peut-être, « de la fameuse Fin ».

Là-dessus, arrivée inopinée de Yes. Une chienne perdue ou, plutôt, « une petite bombe d’enfer. De l’énergie pure », avec « son adoration de la vie », le « grand oui » qui lui a valu un nom soufflé par Joyce (« and yes I said yes I will yes »). Elle restera un an aux Bois-Bannis, dans une proximité absolue avec Sophie, en qui elle a reconnu une semblable, celle-ci, comme Janet Frame, se sentant plus proche du monde animal que de l’espèce humaine.

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