Deauville, sans Sagan

J’ai cherché où fuir la canicule et j’ai pris le train le 4 juillet, jour de l’Indépendance américaine. Je n’ai pas tout de suite pensé à Richard Ford, au deuxième volet de sa trilogie Bascombe « Independance Day », mais je n’ai pas oublié ces lignes qui résument ce qu’a compris le héros à travers son errance pendant ces fêtes américaines du 4 juillet: une compréhension en forme de métaphore de l’écriture : « s’attaquer à l’inexprimé, enfoncer l’étrave dans la banquise au sein de nous, procurer le bonheur d’une conviction au milieu du gâchis général d’approximations ».

La canicule n’est pas une approximation, elle nous force à prendre parti, la subir ou la fuir. J’avais décidé cette année de m’en échapper, de retrouver mon indépendance de mouvements en climat tempéré.

J’ai cherché le train le plus proche de la mer. C’était celui pour Deauville.

Dans le train en face de moi, il y avait un autre réfugié climatique, un homme jeune, qui s’est vite excusé auprès de moi de laisser derrière lui sa femme et sa fille. J’ai du le rassurer. On reste ou on ne peut pas rester. C’est comme ça, il n’y a rien à y faire, pas de culpabilité à avoir. Si elles étaient restées, c’est qu’elles le pouvaient. Nous, pas. Il s’est épongé le front. Sa fille devait être dans la cour de récréation en ce moment. Oui, mais elle n’avait pas voulu manquer l’école, lui rappelai-je, il n’y était pour rien. Et puis les enfants supportent bien mieux la chaleur. Je ne me rappelle pas que cela ait jamais été un problème pour moi à cet âge-là. Nous avions bien fait avais-je ajouté.

Qu’aurions-nous pu faire d’autre, ayant épuisé notre réserve de patience et de bienveillance envers notre environnement immédiat? ayant épuisé toutes les solutions pour voir la vie autrement qu’elle l’était pour nous : une longue quête pour trouver une place tempérée dans cette ville trop chaude. Paris, une ville sans climatisation, sans forêt, sans piscines ouvertes en été ? On ne pouvait pas faire autrement c’était comme ça. C’est ce qu’on s’est dit pour se rassurer tous les deux pendant que des jeunes filles autour de nous avaient déjà enfilé leur maillot pour la journée. On apercevait les bretelles à travers leur t-shirt cintrés, et elles étaient à présent en train d’envoyer des SMS à la terre entière, les pieds en appui sur leurs paniers en osier.

Elles ne s’en faisaient pas, elles. Tandis qu’il malaxait son Panama entre ses doigts, je le sentais encore douter, songer à son lâchage, et moi aussi, je n’étais pas sensée partir seule de Paris. Je ne le lui dis pas. Un homme semble toujours plus vulnérable qu’une femme, surtout quand il a chaud et qu’il a oublié sa bouteille d’eau. J’ai regardé défiler les champs qui allaient jusqu’à la mer. J’ai fermé mon portable, je ne voulais pas l’entendre sonner avant d’arriver.

OLYMPUS DIGITAL CAMERAOLYMPUS DIGITAL CAMERAUne escale de 4 jours m’attendait, où retrouver le sens du mot : dormir, en rêvant aux étés de l’enfance ; et pourquoi pas aux couleurs des cabines de bains des plages atlantiques, à la serviette rêche qui accueille le corps à la sortie de l’eau et aux soirées sans l’horizon du travail où simplement flâner pour retrouver le répit d’un temps plein, sans coupures, sans ratures.

Après la découverte de mon nouveau domaine, une cuisine, un balcon et un canapé, je me suis retrouvée sur la plage. De l’autre côté de Trouville, ville trop réelle, trop encombrée d’écrivains, de parisiens, de couples et de familles. En bout de plage: une ville qui n’existe presque pas. Deauville et la page blanche de sa plage.

J’y ai retrouvé la chaleur, mais pas seulement. J’y ai retrouvé également l’espace vide qui manque tant en ville, et les architectures désuètes des années 30 qu’a photographiées Lartigue en vacances perpétuelles de l’Atlantique à la Méditerranée.

IMG_8809J’ai sorti mon appareil et j’ai capturé cette page inondée de chaleur. Le vent se lèverait, demain. Sûrement. En attendant, nous étions quelques bienheureux à marcher pieds nus dans la mer, à deux heures de Paris.

J’ai pensé à l’homme au Panama, qui déjà devait reprendre son train pour Paris, tourmenté et inquiet de ce qu’il allait retrouver. Sa femme serait-elle toujours là? Sa fille aurait-elle bien passé la journée? Pourtant, il avait bien mis ses pieds dans l’eau lui aussi, peut-être du côté de Trouville. Un instant au moins, plus rien d’autre n’aurait compté. Pour moi aussi. Et c’est ce que j’étais venue chercher ici, ce 4 juillet.

Je regardai la plage et pensai à Deauville sans Trintignant, puis me retournai sur le Casino et pensai à Sagan.

L’homme au panama reviendrait, je le savais. La canicule ne s’arrêterait pas là. En attendant, j’observai la mer illimitée.

Danièle Pétrès

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