Framboise Guillou « Le Vauban » – Véronique Desboeufs « Brume »

Il y a un mois, nous vous avons proposé d’écrire à partir de « La ville de vapeur » de Carlos Ruiz Zafón. Voici les textes de Framboise Guillou et de Véronique Desboeufs.
Framboise Guillou
Le Vauban

Le sixième jour, alors que je commençais à croire que j’avais rêvé cette rencontre, je m’engageai dans la rue des Miroitiers en direction de l’entrée latérale de la cathédrale. Un brouillard épais était tombé sur la ville et il se coulait le long des rues comme un voile blanchâtre.

Je peinais à me frayer un chemin parmi les décombres où le jaune d’or des fragments de vitraux luisait malgré tout. Seul le transept nord avait résisté aux assauts de l’ennemi qui en guise de bouquet final avait torpillé toute la nuit. Je voulais enquêter auprès des civils restés tapis dans la crypte pendant toute la durée de cette guerre éclair qui avait de nouveau, à un siècle d’écart, détruit la ville.

La semaine précédente j’avais pris en urgence une chambre à l’hôtel Vauban. Tu dois être là où ça pète avait ordonné mon rédac chef. Le conflit venait d’être déclaré. Le soir même les premiers souffles des bombes déversées sur l’arsenal, en contrebas de la rue de Siam, avaient précipité dans les caves tous les résidents, pour la plupart journalistes comme moi.

Mon téléphone vibra soudain. Naïm. Ce prénom affiché sur l’écran était la preuve que je n’avais pas rêvé les embrasements répétés de nos corps dans la cave du Vauban pendant les cinq dernières nuits. Cette folie qui s’était emparée de nous dans le recoin obscur qui nous servait de nid. Blottie dans les bras de cet inconnu, j’avais humé les odeurs de moisi et de vinasse mêlées à celles de la poudre déversée sur le port, j’avais entendu les explosions et imaginé l’austère façade de la mairie réduite en poudre, les ateliers des Capucins anéantis et le cours Dajot en miettes.

Le texto était bref. Il repartait dans son pays où un autre conflit l’appelait.

La guerre avait duré six jours, autant que mon amour pour ton père.

 

Véronique Desboeufs
Brume

Le sixième jour, alors que je commençais à croire que j’avais rêvé cette rencontre, je m’engageai dans la rue des Miroitiers en direction de l’entrée latérale de la cathédrale. Un brouillard épais était tombé sur la ville et il se coulait le long des rues comme un voile blanchâtre. 

La nuit commençait à tomber, et les rares réverbères diffusaient une lumière trouble, peinant à se frayer un chemin dans la brume. Devant moi, tapie dans le brouillard, la silhouette imposante de la cathédrale me barrait le chemin. Soudain, une musique légère s’éleva le long des murs gris. Je frissonnai de la tête aux pieds. Comme l’autre soir, il se tenait là, sous le porche. Les yeux fermés, il jouait de la flûte, et les notes virevoltaient dans la brume, l’habillant d’étincelles de joie.

De vagues souvenirs me revinrent, aussi insaisissables que le brouillard qui nous enveloppait. Où l’avais-je déjà vu ?  Je m’avançai, décidée à lui parler. Mais, sentant ma présence sans doute, il s’interrompit puis s’engouffra dans l’ombre. Je courus à sa suite.

Il m’entraîna dans le dédale des ruelles pavées du centre, nullement gêné par le manque de visibilité. Des façades apparaissaient parfois puis s’évanouissaient, et je sursautai lorsqu’une tête de pierre grimaçante émergea brusquement du brouillard.

Un bruit lointain, régulier, me parvenait. Comme un souffle. Le vent ? Le jeune homme disparut dans une ruelle. Je le suivais mais me retrouvai dans un cul-de-sac. Seule. Je rebroussai chemin. J’entendis le bruit à nouveau, plus fort.

Brusquement, la brume se déchira. Comme aspirée par le brouillard, la ville avait disparu. En bas d’une falaise abrupte, la mer écumait le long d’une grève parsemée de rochers gris. Je revis tout, l’espace d’un instant, et je compris pourquoi j’avais oublié jusqu’à son nom.

Le brouillard revint. J’étais à nouveau seule le long de la cathédrale.