« India Song » de Karen Knorr

L’exposition organisée par la galerie Les Filles du Calvaire présente au public trente oeuvres clés de la photographe Karen Knorr, figure emblématique de la photographie contemporaine, dont «Fables » et « India Song » jusqu’au 29 avril 2023. 

Karen Knorr interroge dans son travail la forme documentaire, en construisant de faux reportages mettant en scène la perception de nos représentations culturelles.

Dès l’entrée, une phrase nous accueille dans ce qui constitue un boudoir : « Will we never learn » (n’apprendrons-nous jamais). Une cage vide, porte ouverte lui fait face, signalant un oiseau envolé, tandis que les paroles de la chanson « Where have all the flowers gone » s’étalent sur un des murs. Écrite par l’activiste anti-guerre Pete Seeger, cette chanson popularisée par Joan Baez fait écho à un monde qui n’a rien appris du Vietnam et nous renvoie à l’actualité de la guerre en Ukraine.

Nous découvrons ensuite deux séries, où Karen Knorr substitue des animaux aux humains parcourant des salles désertes. Un retour à l’état sauvage à première vue séduisant, pour des photographies questionnant notre représentation du réel à travers l’avatar de l’animal, dans une forme de prédation en abîme.

Ledoux’s Reception (Carnavalet, 2004)
The Kings’ Reception, Série Fables, 2003–2022 (Château de Chambord, 2006)
Série India Song (2022)

Dans la série India Song, Karen Knorr ressuscite une Inde flamboyante où les maharadjahs sont remplacés par des animaux empaillés. Ces images rutilantes comme de vieux chromos signent la préfiguration d’un monde déserté des humains.

Entre nature et culture, Helen Knorr interroge la vanité de nos imaginaires, en écho d’un monde reconstitué comme un tableau où tout est faux.

Faux palais, animaux empaillés, décors vides aux couleurs acidulées, ce monde a l’air d’un monde réel, il n’est que la métaphore d’un postcolonialisme inconscient, d’une richesse enfuie, d’une prédation qui détruit l’espèce animale et végétale.

Nous poursuivons notre déambulation dans le vaste espace de la galerie qui telle une serre, fait écho à ce qui est représenté sur ces photographies immenses (147 com sur 184 cm).

Dans ces salles de musées où figurent des animaux à la présence incongrue, en écho à notre propre présence dans l’espace d’exposition, une question nous taraude : sommes-nous ce renard ou ce tigre dans ce lieu qui nous tend un miroir ?

L’animal est un questionnement allégorique de l’institution. En photographiant des tableaux célèbres et iconiques, comme celui de Fragonard, et en y intégrant des oiseaux cachant son intimité, Karen Knorr revisite cette représentation culturelle d’un autre siècle, celle où la femme était une proie, tout comme l’oiseau. Comment sortir de la cage, semble nous demander finalement Karen Knorr ? Peut-être en la regardant de l’extérieur.

Danièle Pétrès

Photo de vignette : détail de The Queen’s Room, Zanana, Udaipur City Palace, 2010

Galerie Les Filles du Calvaire. 17 rue des filles du calvaire, 75003 Paris. Un très beau livre est édité à l’occasion de cette exposition (à découvrir à l’entrée de la galerie).