L’hyperréalisme ou l’art du mème au musée Maillol

Le Musée Maillol rend hommage à la sculpture contemporaine via l’exposition « Hyperréalisme, ceci n’est pas un corps » jusqu’au 5 mars, à Paris. Ce mouvement né aux États-Unis en même temps que le Pop art, et en réaction à l’expressionnisme abstrait, est directement issu de la figuration réaliste américaine. Un type de représentation qui a essaimé dans le monde entier ces quarante dernières années, et dont le musée nous propose une rétrospective.

Placée à l’entrée de l’exposition « Caroline » de Daniel Firman est sûrement la plus saisissante de ces sculptures. Ce personnage à taille humaine (162 cm), réalisé par moulage en résine et habillé de vêtements, semble regarder dans un orifice du mur une scène dérobée aux regards. Les visiteurs sont spontanément attirés près de « Caroline » pour discerner ce qui se passe dans la salle suivante. Nous sommes saisis par ce leurre familier, voyeur que nous sommes quand nous parcourons une exposition.

« Caroline » de Daniel Firman
« Caroline » de Daniel Firman (France, 2014)

Ces sculptures souvent « grandeur nature » dialoguent  sans parler la même langue avec les corps ronds, nus, et sublimés de Maillol.

Mais si nous avons l’habitude d’observer les représentations idéalisées de dieux et déesses de la statuaire de l’époque classique, ou encore les nus païens du XXème siècle, nous sommes surpris de l’existence de sculptures habillées, ce qui cause en partie notre trouble. Passant ainsi de l’espace sacré à un espace profane très contemporain, elle nous mettent face à notre propre image.

Si nous reprenons pied quand nous découvrons le buste d’Andy Warhol, sorte de demi-Dieu, ou devant la sculpture composée de bras tendus de Maurizio Cattelan dont nous pouvons comprendre le sens, la présence désarmée de ces personnages dont on peut s’approcher jusqu’à les toucher, nous met mal à l’aise.

Ces sculptures trompent notre jugement en nous renseignant sur la banalité de notre condition d’êtres humains, vulnérables, nous fascinent par leur ressemblance et le luxe de détail qui y a été apporté, et nous inquiète vaguement.

Duane Hanson « Cowboy with hay » (1996) / « Two workers (1993)

Le public ne s’y trompe pas d’ailleurs, on se prend en photo près d’eux comme on le ferait avec un membre de sa famille. La famille des humains, dans l’inquiétante étrangeté de la banalité de nos semblables.

Kazu Hiro « Andy Warhol » (2013) / Berlinde de Bruyckere (2009) Cire, époxy et coussin
Sam Jinks « Untitled » (Kneeling woman, 2015)

La dernière salle présente ainsi une chaise où les visiteurs peuvent se faire prendre en photo par leurs proches sous un bel éclairage, dans des poses arrêtées de statues contemporaines. Oui, semble nous dire ainsi le dispositif de l’exposition, c’est à notre tour maintenant de singer l’œuvre d’art. Flattant notre pulsion scopique, au-delà de la morbidité qui se dégage de ces sculptures en résine ou en silicone, nous ne restons pas indifférents au vertige du réalisme de la représentation en miroir de nos semblables, de leur fragilité et de l’émotion émanent de ces corps livrés aux regards. Comme si nous reconnaissions en ces représentations de cow-boy, clochard ou de grand-mère, notre propre famille. Une présence étonnante et un questionnement sur notre posture dans l’espace de l’exposition.

Danièle Pétrès

Musée Maillot, 59-61 Rue de Grenelle, 75007 Paris. Jusqu’au 5 septembre 2023.


Françoise Khoury

Pour aller plus loin : « ÉCRIRE L’ART OU MON MUSÉE IDÉAL », un atelier de 3 heures, chaque mois animé par Françoise Khoury.

Prochaine date : 12 février 2023

Lors d’une visite dans un musée ou poussant par hasard la porte d’une galerie, une œuvre vous touche. Vous ne la voyez qu’une fois ou vous retournez la voir. Elle a provoqué en vous ce que certains appellent un choc esthétique et, depuis, elle vous habite. Que s’est-il passé entre elle et vous ? L’atelier vous propose d’en savoir plus en écrivant autour d’elle.

Aristide Maillol – Peinture à l’huile (1940)