Indiana Loessin : comment écrire une série ?

Diplômée en lettres modernes et en documentation, Indiana Loessin a fondé la Compagnie de L’oiseau rare, une troupe rassemblant comédiens amateurs et professionnels. Après une école de scénario, elle est devenue consultante pour la télévision et le cinéma et a participé à l’écriture d’un long-métrage et de deux séries humoristiques. Elle animera pour Aleph, un stage d’initiation à l’écriture d’une série audiovisuelle du 10 au 24 juin 2024 à Paris.

L’Inventoire : En deux décennies, les séries ont investi nos écrans, mais tout d’abord, qu’est-ce qu’une série exactement ?

Indiana Loessin : Bonne question ! Le terme s’applique à des oeuvres aussi diverses que les feuilletons aux innombrables rebondissements (« Les feux de l’amour »), les sagas comme « Game of thrones », les anthologies d’histoires sur un même thème ou genre (« Black mirror »), les « crime procedurals » (« Le juge est une femme »)…

Par définition, une série comporte des éléments récurrents, que le spectateur s’attend à retrouver d’un épisode à l’autre : des personnages, un univers, une intrigue, un format ou un genre… et dans la grande majorité des cas, tout ceci à la fois.

On distingue notamment les séries « feuilletonnantes », dont l’intrigue se poursuit sur plusieurs épisodes ou saisons, et les séries « bouclées », aux épisodes autonomes qui peuvent parfois se regarder dans n’importe quel ordre. Dans l’industrie actuelle, rares sont les séries uniquement « bouclées » : il y a presque toujours une ligne d’évolution, même infime, pour maintenir l’intérêt des spectateurs dans la durée. C’est bien sûr lié au fait que les séries sont désormais un divertissement incontournable, produit en masse. Qui n’a pas au moins une série fétiche ?

Un sujet ou un traitement surprenant, un ancrage dans l’air du temps, la possibilité de s’identifier aux personnages et la capacité à se répéter sans s’user ou lasser.

Comment cela fonctionne ?

Vincent Colonna, un des premiers en France à avoir creusé le sujet, évoque dans « L’art de la série télé » les ingrédients d’une bonne oeuvre sérielle : un sujet ou un traitement surprenant et intéressant, un ancrage dans l’air du temps, la possibilité de s’identifier aux personnages et la « sérialité », la capacité à se répéter sans s’user ou lasser.

Une idée reçue sur l’écriture des séries est de confondre enjeu et rebondissement : or ce n’est pas parce que l’intrigue multiplie les péripéties et les coups de théâtre qu’elle va réussir à conserver l’intérêt du spectateur. Par exemple, s’il n’y a plus de lien cohérent avec l’intrigue, les fondements de la série, ou si le public ne parvient pas à s’attacher à ses protagonistes, le public s’en désintéressera.

Est-ce qu’il faut veiller, pour une série à « désapprendre à écrire » ? Le langage de tous les jours étant une langue souvent peu soutenue, contenant plus de silence que de mots ?

Tout à fait, c’est valable pour le langage cinématographique en général. Une des premières choses que je fais en atelier, c’est montrer une courte scène de série et demander à chacun de l’écrire comme s’il en était le scénariste. Que faut-il garder de la profusion de détails qu’on voit à l’écran ? Les participants, pour certains rodés aux ateliers littéraires, découvrent un nouveau langage : précis, efficace, rarement littéraire – et souvent fastidieux à lire !

Le challenge du scénario est de coucher sur le papier une version préliminaire de ce qui n’existera pour de bon qu’à l’image et au son. Comment révéler ce que le personnage pense ou ressent, s’il ne le dit pas dans une ligne de dialogue, s’il n’y a pas de voix-off ? La fameuse règle du « Show don’t tell », qui préfère montrer à raconter. C’est un nouveau défi pour les habitués des ateliers d’écriture, qu’ils relèvent en général avec enthousiasme !

Ceci dit, le cas des séries télé est particulier, le verbal y garde une place importante. Pendant longtemps, notamment aux États-Unis, il fallait permettre aux spectateurs de rattraper une série en cours de route – afin de s’assurer un public de plus en plus large. C’était également dû aux conditions de visionnage, moins propices à la concentration qu’une salle de cinéma (mangeurs de popcorn exceptés !). Les dialogues ou la voix-off restaient donc très présents pour donner (ou rappeler) les informations essentielles.

Aujourd’hui, les séries sont reconnues comme un art à part entière. Leurs auteurs s’autorisent plus de choses, y compris un rythme lent ou le silence. Je pense à « Better call Saul », par exemple. La série devient un terrain de jeu paradoxal, soumise à des règles d’écriture strictes (pour Netflix, il faut happer le public dès les premières secondes), mais aussi lieu d’inventivité et d’audace, là où Hollywood s’enferme dans des franchises formatées.

Apprendra-t-on dans votre stage à créer une arche narrative pour réaliser son pilote (ou sa bible) ?

Oui, plutôt pour la bible. Au fil des cinq jours, le stage invite chacun à imaginer une idée de série à partir de propositions d’écriture sur un univers, des personnages. Il s’adresse aussi bien aux personnes qui ont déjà un projet en tête qu’aux curieux. Puis on réfléchit aux thèmes que cette idée de série évoque, aux questionnements qu’elle soulève et que le participant aimerait traiter. Ce sont ces questions (et les réponses qu’on souhaite y apporter) qui nous guident pour travailler les arches narratives. Car c’est de là que dépendent les évolutions de l’intrigue et des personnages.

J’attends toujours les derniers jours pour aborder des notions de structure. Souvent, quand on découvre des modèles structurels, on croit tenir la solution toute faite pour développer son intrigue. Mais celle-ci découle d’abord des protagonistes, de leur caractérisation et de là où on veut les amener. C’est organique, à mi-chemin entre l’intention de l’auteur et la logique propre à ses personnages. C’est la même chose en littérature.

Nous sommes passés de séries dites « à thème » ou « à intrigue » à des séries « à personnages », centrées sur leur évolution.

Vous avez travaillé sur des séries humoristiques. La comédie a-t-elle des ressorts dramatiques plus complexes que les séries sur des sujets sociaux ? (par exemple je pense à la série Cry Wolf qui est passée récemment à la télé, où il se passe relativement peu de choses et où le rythme est assez lent contrairement à beaucoup de séries américaines).

Je trouve difficile de comparer les deux, mais la comédie est en effet un art de la précision. Elle est très exigeante et repose sur de nombreuses règles… qu’il faut savoir renouveler ! C’est la raison pour laquelle les séries comiques adoptent en général un format court (la shortcom comme « Caméra Café » ou « Bloqués », la sitcom de 22 minutes type « Friends » ou « Big Bang Theory »…).

Aujourd’hui, le travail sur le personnage représente un des grands challenges de l’écriture d’une série comique, et d’une série en général. Nous sommes passés de séries dites « à thème » ou « à intrigue » à des séries « à personnages », centrées sur leur évolution. Or le propre d’un personnage comique est de ne pas changer ! Il n’apprend pas, conserve ses défauts… Le scénariste doit trouver le dosage qui fonctionne.

Que vous apporte dans votre pratique de formatrice votre expérience de la troupe et des spectacles que vous créez ?

Le sens de la création en équipe et de l’improvisation (pas dans la conception du stage je vous rassure !). Ainsi qu’une réflexion sur le personnage.

Avant de travailler une scène au théâtre, je propose aux comédiens de se baser sur le texte de la pièce, mais aussi sur leur propre imagination, pour raconter ce qui est arrivé à leurs personnages avant, dans quel état émotionnel ils entrent en scène, avec quelles motivations. Je pose des questions précises, sur des points de détail, pour que cela devienne concret, incarné. C’est l’élaboration de la « backstory », l’histoire antérieure au récit, fondamentale pour écrire comme pour jouer de manière crédible. Simplement, le comédien fait le travail inverse de l’auteur, traquant dans le texte les indices que ce dernier a disséminés du puzzle que représente le personnage.

Merci Indiana !

Compagnie de l’oiseau rare « Château en Suède » une pièce de Françoise Sagan

Indiana Loessin est diplômée en lettres modernes et en documentation, elle rêvait d’écrire ses propres livres en rangeant ceux des autres. Passionnée de théâtre, elle a fondé la Compagnie de l’oiseau rare, une troupe rassemblant comédiens amateurs et professionnels. Après une école de scénario, elle est devenue consultante pour la télévision et le cinéma et a participé à l’écriture d’un long-métrage et deux séries humoristiques. Son prochain stage d’Initiation à l’écriture de séries audiovisuelles débute le 10 juin 2024.