Isabelle Pleskoff: « à Barcelone, nous rencontrons tant de machines à rêver »

Découvrir une ville rêvée par les écrivains, transformée en théâtre ou en personnage, et l’appréhender dans sa réalité d’aujourd’hui, tel est le parcours que vous propose Isabelle Pleskoff. Nous l’avons rencontré pour qu’elle nous parle de sa ville, Barcelone, où elle animera un séjour d’écriture du 19 au 24 mai 2024.

L’Inventoire : Vous avez créé le stage « écrire sur les lieux » à Paris, cette expérience de résidence s’apparentera-t-elle à faire un carnet de croquis de Barcelone pour mieux en fixer les perspectives afin d’écrire « son » Barcelone ?

Isabelle Pleskoff: En effet, j’aime beaucoup l’idée que les surréalistes et les situationnistes, notamment, ont illustré avec grâce, la dérive urbaine comme exercice poétique fondateur. Donc, une des propositions d’écriture consistera à utiliser les notes relevées lors d’un parcours dans la ville (fait en solo, par soi-même, différemment des itinéraires conduits par la guide). Car je proposerai au début de la résidence des suggestions d’itinéraires possibles qui recèlent de trésors variés, et chaque participant choisira le sien.

Pourquoi est-il important de s’appuyer sur les lieux pour écrire une histoire ?

D’une part parce qu’il a été démontré que ce sont les lieux qui “accrochent” les souvenirs de la façon la plus puissante. Ce qui en dit long sur leur présence dans notre espace intérieur. Ensuite parce que c’est le plus souvent l’évocation des lieux, leur description qui contribue fortement à l’atmosphère d’un texte narratif.

Et justement à Barcelone, nous rencontrons tant de ces machines à rêver : au coin de la rue, un bâtiment moderniste, avec ses lignes ondulantes, sa fantaisie débridée (les architectes modernistes ont poussé très loin l’inventivité), et la multitude de ces édifices qui ne cesse d’étonner. Ailleurs, un parc labyrinthe, un jardin botanique à flanc de coteau, la Méditerranée et ses jetées. Ailleurs, des vues surplombantes, qui donnent à voir les limites de la ville, la mer et la montagne. De fait, c’est ainsi qu’on se repère à Barcelone, on vous donne rendez-vous à un carrefour (ces fameuses places biseautées), en vous disant qu’on se retrouve “côté mer” ou “côté montagne”.

Vous avez évoqué des visites guidées ?

Oui, l’autrice de Rutes literàries de Barcelona, philologue et guide conduira quelques visites au cours du stage, en fin d’après-midi, des circuits qu’elle a élaborés pour faire découvrir des lieux emblématiques de la vie littéraire barcelonaise. On traversera des quartiers évoqués dans des œuvres majeures, on passera devant des maisons d’écrivains, et ces promenades seront émaillées d’extraits littéraires.

Quels sont les auteurs catalans dont vous allez revisiter le parcours avec les participants ?

Si votre question concerne l’origine des auteurs, alors il y aura notamment Juan Marsé, un de mes auteurs préférés, hélas disparu cette année, qui a si bien décrit les quartiers nord de la ville. Il a livré une évocation si sensible et poétique de cette partie de la ville dans les années 1940, que ses mots sont, pour moi et pour ceux de mes amis qui passent régulièrement dans ce quartier, comme gravés dans les murs et les rues de Horta Guinardo. Mais Marsé écrivait en castellano. C’est aussi le cas de Vasquez Montalban, et son détective, Pepe Carvalho, libertaire désenchanté, qui évoque souvent le Raval, autrefois appelé le Barrio Chino.

Du côté de la langue catalane, nous explorerons une œuvre de Merce Rodoreda. Son écriture vigoureuse et originale enchante. Elle nous a laissé des portraits de femmes inoubliables attachées au quartier de Gracia.

Quels sont vos auteurs espagnols préférés et pourquoi ?

Il y a, par-delà les auteurs que j’ai déjà mentionnés, un autre écrivain magnifique, Eduardo Mendoza, avec ses romans d’initiation émaillés d’humour, qui racontent la ville en mêlant documentation historique et fiction. En remontant le temps, j’ai aussi découvert cette année un auteur étonnant, Ramon Gomez de la Serna (1880-1963),  écrivain, journaliste, homme de théâtre, qui a véritablement créé un genre littéraire, les greguerias, brefs poèmes, pirouettes conceptuelles ou métaphores insolites.

Les jours de vent, les joncs ont cours d’escrime.

Les mouettes naissent des mouchoirs que l’on agite au départ des bateaux.

Ou encore, la tête est un aquarium d’idées.

Et puis il y a le fait que la ville est un visage à deux faces, une cité Janus, avec, d’un côté, son orgueil culturel catalan – la revendication de sa langue, sa littérature, son histoire, mais aussi sa gastronomie, ses traditions festives ; et de l’autre, son évidente ouverture sur le monde – peut-être parce que c’est une ville portuaire…

L’Inventoire : Barcelone est-elle une ville inspirante ?

Oui, sans aucun doute. Elle a inspiré tant d’auteurs qui l’ont intégrée à leurs œuvres, rendant hommage à sa grâce, à ses mystères, ou en faisant d’elle un personnage à part entière. On est forcément séduits quand on arpente cette ville, musée à ciel ouvert, par la multitude d’édifices modernistes ; de plus, ils sont là sans chichis, sans prétention patrimoniale. Un ami français me disait récemment : « quelle chance ont les enfants d’ici qui grandissent au milieu de toute cette beauté ». Et puis il y a le fait que la ville est un visage à deux faces, une cité Janus, avec, d’un côté, son orgueil culturel catalan – la revendication de sa langue, sa littérature, son histoire, mais aussi sa gastronomie, ses traditions festives ; et de l’autre, son évidente ouverture sur le monde – peut-être parce que c’est une ville portuaire – perceptible à travers une vive curiosité à l’égard des cultures étrangères. En tout cas, malgré les secousses nationalistes, Barcelone reste ouverte sur le monde. Et il y a ce goût des moments partagés sur les terrasses des bars, du bien vivre, de la sobremesa (expression intraduisible qui désigne les repas qui durent toute une après-midi, où l’on se régale, bavarde, chante et joue aux cartes). Enfin, la ville est vibrante, de concerts, rencontres littéraires, expositions.

L’Inventoire : qu’aimeriez-vous transmettre aux participants lors de cette résidence ? Avec quoi voudriez-vous qu’ils en reviennent ?

J’aimerais que les participants se familiarisent avec la ville, qu’ils soient sensibles à son charme. Qu’ils apprécient les auteurs que nous découvrirons. J’aimerais enfin qu’ils reviennent avec de belles images, des souvenirs heureux et des textes dont ils seront fiers.

Inventoire

Isabelle PLESKOFF a longtemps travaillé au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, à la médiathèque dont elle était responsable, animant des entretiens publics, des ateliers d’écriture et des visites guidées dans l’exposition permanente.

Aujourd’hui, elle vit à Barcelone, ou, à côté des ateliers d’écriture, elle donne des conférences sur des écrivains français et écrit des biographies.

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