Lecture d’été, conseil d’écrivain : Sally Rooney « Normal People”

Le roman de Sally Rooney, auteure irlandaise de quarante ans a récemment été adapté en série de 12 épisodes avec une fidélité remarquable (remportant un succès international). Ecrit au présent, le livre est une leçon de sensibilité et d’élégance des sentiments. Il se lit d’une traite.

Le roman de Sally Rooney raconte, sur quatre ans, la relation de deux adolescents qui se rencontrent au collège, tombent amoureux sans l’admettre, se séparent et se retrouvent à la fac. Les chapitres sont développés autour de périodes espacées de quelques  mois, le roman étant structuré par la relation qui se construit entre eux, faite de non-dits, de maladresse et de fragilité. Ces deux êtres qui s’aiment sans savoir ce qu’est l’amour cherchent juste à être des « personnes normales », avant de comprendre que seule l’acceptation de ce qu’ils sont peut les réconcilier avec cet horizon extérieur et forcément inatteignable (la normalité).

Entre le collège et la fac, Connell, d’origine modeste, et Marianne, d’un milieu aisé, vont trouver leur équilibre. L’un devient écrivain, l’autre accepte de tourner le dos aux maltraitances subies dans l’enfance. Un roman d’apprentissage, autant émotionnel que littéraire.

Connell a relu les notes qu’il avait prises en vue d’écrire une nouvelle et a senti le frisson de plaisir familier à l’intérieur de son corps, comme quand on assiste au but parfait, comme une mélodie s’échappant par la vitre d’une voiture qui passe »

Au coeur de leur histoire, c’est aussi la construction d’une identité d’écrivain qui est abordée dans le personnage de Connell. Ainsi, ce passage à Trinity College, où il assiste à la lecture d’un écrivain (lisant sans conviction pour faire vivre son livre), et ses réflexions sur le contraste avec le métier réel d’écrire. Connell y livre une définition de la nouvelle :

« Il sait que beaucoup d’étudiants en lettres voient d’abord la littérature comme un moyen de paraître cultivé. Quand quelqu’un a mentionné la manif contre l’austérité ce soir-là au Stag’s Head, Sadie a levé les mains en l’air et dit : « Pitié, pas de politique ! La déclaration initiale de Connell à propos des lectures n’a pas été démentie. Cet événement culturel a pris la forme d’une performance de classe, où la littérature était fétichisée pour sa capacité de faire vivre à des gens éduqués de fausses aventures émotionnelles, afin qu’ils se sentent supérieurs aux prolos dont ils aimaient lire l’aventure émotionnelle dans les livres. Même quand les écrivains étaient des personnes respectables, et que leur livre était profond, chaque livre faisait la promotion d’un statut symbolique, et chaque auteur participait à un degré ou un autre à la promotion de ce statut. C’était ainsi que l’industrie rapportait de l’argent. La littérature, sous la forme qui était la sienne dans ces lectures publiques, n’était en rien un moyen de résistance. Il n’empêche, après être rentré chez lui ce soir-là, Connell a relu les notes qu’il avait prises en vue d’écrire une nouvelle et a senti le frisson de plaisir familier à l’intérieur de son corps, comme quand on assiste au but parfait, comme le bruissement de la lumière dans les feuilles, une mélodie s’échappant par la vitre d’une voiture qui passe. La vie offre ces moments de joie en dépit de tout ».

Danièle Pétrès