« L’Affaire Rachel », Caroline O’Donoghue (Mercure de France), par Pierre Ahnne

Pierre Ahnne est écrivain et a créé un blog littéraire sur lequel il partage chaque semaine ses lectures. Il réalise également des lectures-diagnostic sur les manuscrits qui lui sont confiés par Aleph-Écriture. Il partage chaque mois un de ses articles sur L’Inventoire.
L’Affaire Rachel, Caroline O’Donoghue, traduit de l’anglais par Sylvie Doizelet (Mercure de France)

Au début, on croit être dans un de ces ouvrages anglo-saxons écrits généralement par des femmes et contant, sur un ton enjoué, les aventures sentimentales de jeunes femmes modernes, qu’on ne lit jamais. La référence explicite à Maeve Binchy fournira peut-être, même si elle nécessite des recherches complémentaires, une indication plus précise…

Mais bien des allusions nécessiteraient des recherches, dans ce livre que la traductrice (laquelle croit, par ailleurs, qu’on extorque quelqu’un) ne juge pas utile d’éclairer de notes. En l’état, on a souvent l’impression de devoir déchiffrer une langue étrangère : « Une de ces filles à pédés ? comme dans Will et Grace ? » ; « C’était avant le règne de Benedict Cumberbatch sur la BBC » ; « Son style se trouvait quelque part entre celui d’une maîtresse d’école et celui de Daphne dans Scooby-Doo »… Pour suivre, mieux vaut, à l’évidence, comme Rachel et Caroline O’Donoghue, être né en 1990 et en Irlande, plus précisément, s’il est possible, à Cork.

Économie, chaussures, cunnilingus

Que le roman, dans l’espoir probable d’une adaptation sous forme de série télévisée, compte environ trois cent cinquante pages pourrait être un facteur supplémentaire de découragement. Pourtant… Au bout d’un moment, on se rend compte qu’on est en train de les lire, les trois cent cinquante pages. Et même avec un certain appétit. Celui-ci n’est pas tant aiguisé par la peinture d’une époque dont l’écrivaine irlandaise est censée ressaisir « l’ambiance » – l’Irlande en 2010, dont l’économie « se port[e] mal, pas un mal normal, mais un mal corrompu » et où les femmes, pour avorter, doivent avoir les moyens de se rendre en Angleterre. L’humour, réel, mais un peu omniprésent, ne suffirait pas non plus à nourrir le lecteur, malgré certaines notations d’une assez réjouissante loufoquerie : « Ce [baiser] fut comme trouver votre paire de chaussures préférées sous le lit » ; « Je n’avais rien lu du tout sur le traumatisme lié au fait que votre professeur d’anglais décide ne pas vous baiser ».

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