Vos textes à partir de « L’exil n’a pas d’ombre » de Jeanne Benameur (1/3)

Il y a 3 semaines, Arlette Mondon-Neycensas vous a proposé d’écrire à partir de l’ouvrage de Jeanne Benameur L’exil n’a pas d’ombre (Bruno Doucey, 2019). Nous vous remercions de l’intérêt que vous avez porté à cette proposition puisque nous avons reçu 50 textes ! Nous en avons choisi 17, qui paraissent pour les mettre en valeur, en 3 posts. Merci à tous, et très bonne semaine!

Françoise Blanc

Je me plonge dans les photos

Les voyages de ces dernières années

Des centaines d’images

Autant de souvenirs

De ces pays du nord

Qui m’ont fascinée.

Le voyage, cet exil temporaire,

Recherche d’un ailleurs,

Quelle quête ?

Je déambule, me rappelle, m’émerveille :

Les montagnes austères,

Les torrents impétueux

Qui descendent des glaciers,

Les fjords profonds.

La Baltique brille au soleil.

Les îles et les îlots,

Les bateaux et leurs drapeaux,

Les rochers ronds, les herbes hautes,

Les cygnes et les oies sauvages,

Les vols de grues.

Je sens le vent, je hume les parfums…

Beauté de la nature

Qui engendre la plénitude.

Bonheur perdu ? Recherche d’un ailleurs ?

Quelle quête ?

Je m’angoisse

Y reviendrai-je jamais ?

Il l’observe de loin. Il la laisse, des heures devant son ordinateur. Il viendra voir, quand elle l’appellera, cette œuvre qu’elle construit, objet du souvenir, un album photo : le soleil de minuit, les lacs gelés, les sommets enneigés, les animaux farouches à peine aperçus…

Ces paysages fabuleux, cette nature pure et sauvage qu’ensemble ils ont découverts, qui les a rendus heureux.

– Viens voir, lui dit-elle. Tu crois qu’on pourra y revenir ? 

Il est ému à son tour, les images l’envahissent, les souvenirs reviennent comme une marée montante. Il ressent de nouveau l’excitation de la découverte, cette ivresse d’être seuls, d’être loin sur des terres inédites. Ce bonheur inexplicable devant la beauté.

Il l’entoure de ses bras

– Sûr, on y reviendra !

F.B.

Marie Remande

Je n’ai plus rien, même plus de nom

Je n’ai rien.

Pas de sac à dos,

pas de valise,

juste un sac à main.

Dedans

mes papiers

une photo de mes enfants

une bouteille d’eau

vide désormais

et un morceau de pain

avalé depuis longtemps.

J’ai faim

et j’avance.

Le paysage ne ressemble à plus

rien de connu.

Je suis seule

nulle part.

Où est la ville,

où sont les villes ?

Est-ce un arbre que je vois là ?

Je ne connais pas son nom.

Il est creux

Vont-ils me rattraper ?

J’ai froid,

j’ai peur,

je n’ai plus rien,

que ma faim

et mon ridicule sac à main.

Il est parvenu à l’arbre creux et aurait envie de s’y lover. Il doit pourtant poursuivre le chemin, celui même dont il ne connaît pas l’issue. Il doit poursuivre pour elle. Il se demande comment l’arbre est devenu creux. L’arbre n’est-il devenu creux rien que pour eux ?  Il aimerait y faire nid et escale, avec elle. Il aurait envie d’appeler la femme et de lui dire de s’arrêter sous l’arbre là maintenant. A quoi bon poursuivre ?

Il ne l’appelle pas et il reprend le chemin. Un certain nombre de pas en arrière. Elle sera prête plus tard. Peut-être. Il sait qu’ils doivent continuer seuls encore, chacun.

Demain, à moins que ce ne soit dans quelques jours, ils se retrouveront au bord d’une falaise. Là où la route s’arrête. Au bord du monde. 

A part sauter rien d’autre n’est possible que s’arrêter.

Ils s’arrêteront et se regarderont. Longuement.

Elle sera soulagée. Cet homme là n’est pas un de ses bourreaux.   

M.R.

Didier Labbe

 Traces

Je reprends la marche.

Mes pas marquent le sable mouillé,

d’empreintes en creux

que la vague a déjà effacées.

J’avance au milieu des vêtements, des chaussures et des sacs vides,

vestiges des miens restés là-bas,

dans les abysses sombres.

Vestiges bientôt avalés par le reflux.

Et mon cœur se vide.

Pour la première fois je suis seule.

Et la peur m’envahit comme un poison mortel.

Je tombe à nouveau.

Et mon corps  se vide.

J’entends…

J’entendais

Mon père me raconter le village,

et les chants apaisants de ma mère,

mêlés au ressac qui emporte tout.

Je me relève encore et j’avance.

Je me demande si on peut vivre sans laisser de traces.

 (…)

Face à la mer, le vieil homme scrute l’horizon

et imagine la côte, les villes et au-delà, son village…

il sort de sa poche, le cahier

Corné,

Fripé,

Délavé,

Taché.

Il relit les derniers mots et feuillète rapidement les pages,  reconnaissant

 les traces écrites de son voyage et de sa vie au village.

Tout y est !   

Il remonte la plage pour atteindre la route, où au loin s’égrène la file des survivants.

Arrivé dans le camp de toile, il déambule entre les formes apeurées,

voiles et drapés résignés.

Il voit enfin  la femme.

Il lit dans ses yeux, le désespoir et la rage.

Il lui prend la main, délicatement.

Il lui prend la main et  y dépose le cahier fatigué.

C’est leur village, leur pays, leurs ancêtres qu’il lui remet, avant de disparaître.

D.B.

Carine Migneau

Plus j’ouvre les yeux,

Plus c’est vide.

A l’intérieur, à l’extérieur,

Autour.

Plus je les ferme,

Plus c’est blanc.

Trop de lumière,

Impossible de dormir

même un fragment

de nuit.

Trop de bruit,

de silence

Tour à tour.

Chaque jour,

le vide grandit.

Il a pris possession du présent,

Déjà,

Et bientôt absorbera l’avenir.

Le blanc efface les souvenirs,

Les uns après les autres,

Toujours plus,

La mémoire finit par se disloquer,

Jusqu’à l’os,

Jusqu’à l’Identité

devenue prénom

Gravée sur ma paume.

Je ne sais plus

Pourquoi,

Ce que,

 j’attends.

Mais comme un arrière-goût d’écume,

Je me souviens seulement

Que peut-être demain me murmurera.

Il est là, dans l’ombre, sans pouvoir prendre tenir dire. Il est là pourtant, lumière incandescente pour éclairer tout ce blanc. Il voit au-delà. Hors du temps. Il sait. Pose des signes ; ne peut que frôler de ses mains ce cœur frigorifié. Il déplace les nuages, bruisse les arbres, convoque les animaux. Il répond à chacune de ses questions, toutes celles qu’elle crie dans le noir il est là, juste à côté, de l’autre côté, de son vide.

Assis dans la nuit, il la regarde, ses milles mains tendues et ses yeux projetés dans chaque angle de son monde. Sa voix ricoche sur les feuilles et la pluie et les pierres de la ville et celles des torrents. Elle saura un jour entendre et ne plus avoir peur.

Dans un creux de la nuit, dans la chaleur du noir, son cœur s’est apaisé. Enfin, elle put dormir sachant que demain se lèverait.

C.M.

Michèle Caviglia

Les routes de l’exil.

Je marche pas à pas dans la nuit

De mon désir

De fugue

De fuite

Vers je ne sais quel lieu.

L’exil ?

 Quelques ancêtres fugueurs

De leur pays de misère

Ont fui.

Comme eux, je traîne

Ma valise

Mes pieds écorchés

Jusqu’où ?

La route de cailloux, de poussière, d’eau des pluies

Ruisselle sur mes membres.

Exténuée, je suffoque.

Mais qu’importe

Il faut poursuivre,

Marcher, marcher encore.

Sous le soleil

 Brûlures.

J’ai soif.

Jusqu’où ?

Là-bas le pays de cocagne

Fontaines et fleuves profonds

Mer étale

Villages fleuris

L’exil heureux

Qui sait ?

Des jours, des nuits

 Je marche cachée

Derrière les haies

Derrière les murs

Je m’engouffre

Au désert des autres.

Femme seule au corps livré.

J’ai soif.

Au cri de la mouette l’homme s’est réveillé, sa main en creux sur son front, face au ciel bleu cobalt il a souri.

L’homme connaît le ressac des vagues et le cri du vent sur le sable.

Il rejoint le hameau qui domine la plage.

 Derrière les murets de pierre sèches, il guette les bruits de pas.

La chanson d’une fontaine. Une ombre fugace.

La femme penchée, la main ouverte sur une pluie cristal qu’elle porte à sa bouche. Depuis des jours il porte son regard protecteur sur elle.

Il poursuit sa route dans le dédale ombreux des ruelles.

La mer au loin fait son saccage de flux-reflux sur le rivage.

Il sait que les routes littorales depuis la plage et le village se séparent.

 Plus loin se rejoignent.

Il marche seul le cœur plein de chimères.

Devant lui la silhouette féminine progresse à petits pas.

M.C.