Anne Terral est écrivain et éditrice. Née en 1970 à Toulouse, elle a longtemps travaillé dans l’édition de livres d’art avant de s’installer en tant qu’éditrice indépendante en 2009. Elle a publié trois romans aux éditions Stock : Après (2001), Dans la nuit des autres (2003) et Curiosité (2009). Et elle a également écrit plusieurs ouvrages pour la jeunesse dont Grain de riz (Casterman, 2003), La folle semaine des Toupoutous (Casterman, 2005) et Comme ci ou comme ça (Syros, 2011). Suzanne a un truc, roman jeunesse, vient de paraître aux éditions Syros (2014).
Présentation
En 2011-2012, lors d’une résidence d’écrivain accordée par le conseil régional d’Ile-de-France et en partenariat avec l’association Tournesol-Artistes à l’hôpital, Anne Terral a animé toutes les semaines un atelier d’écriture dans un centre d’hébergement du Samusocial, situé dans le 20e arrondissement. Ce centre d’hébergement avec soins infirmiers accueille des personnes en situation de grande exclusion dont l’état de santé physique ou psychique nécessite un temps de convalescence sans justifier d’une hospitalisation.
Cet atelier d’écriture, aventure hebdomadaire que des lectures, rencontres et autres surprises sont venues enrichir tout au long de l’année, s’est voulu un espace de partage et d’interrogation autour de la question du Visible et de l’Invisible, et il a permis de souligner à quel point l’écrit, quel qu’il soit, pouvait être pour chacun un moyen quasi magique d’être vu et pleinement reconnu dans son identité.
Nous publions ici un extrait des textes que lui ont inspiré cette résidence, où Anne Terral revient sur sa pratique d’écrivain dans le contexte d’un atelier d’écriture. Un témoignage rare de la part d’un écrivain.
Par Anne Terral
Formation, origines
L’animation d’un atelier d’écriture, c’est tout nouveau pour moi. J’ai fait une petite formation intensive d’une semaine en juillet dernier aux Ateliers Bing, qui a été passionnante et d’une grande aide. Quelques livres, également, en premier lieu Tous les mots sont adultes de François Bon, qui est LE livre qui a réellement nourri ma pratique durant cette année.
Et puis d’autres, Pierre Frenkiel, Hubert Haddad, Isabelle Mercat-Maheu, des pages de Remue.net comme celles de Dominique Dussidour, Marie Cosnay, Cathie Barreau, aussi du côté d’Aleph : http://www.aleph-ecriture.fr/, de François Bon, Écrire la ville en particulier ; La douceur dans l’abîme, et des participations personnelles à des ateliers, dont celui de Suzanne Doppelt.
La première séance d’ateliers
Une première séance très réussie : au moins 8 ou 9 participants, ce qui n’était pas gagné dans ce centre du Samusocial où j’interviens : plusieurs propositions simples (J’aime/Je n’aime pas après lecture d’un texte de Barthes ; mots à tirer au sort + cartes postales : textes sur le voyage après lecture d’un poème de Cendrars), mais j’ai très vite compris que trop de contraintes dans les propositions pouvaient limiter l’imaginaire des participants. J’ai donné par la suite moins de contraintes et plus de liberté…
J’appréhendais affreusement, mais dès la première minute, devant la sympathie et l’intérêt des participants, la peur s’est muée en une bonne énergie. J’attendais ça depuis longtemps.
L’heureuse surprise : l’enthousiasme des personnes, le sentiment d’avoir nourri leur imaginaire et leur confiance en eux, la joie de sentir qu’ils allaient revenir le lundi suivant, ce qui fut le cas.
Manières de faire
Au début de la résidence, je lançais souvent deux propositions d’écriture en lien, avec progression entre les deux (des textes courts, puis plus longs/ des jeux d’écriture puis une proposition plus engageante), mais peu à peu, je n’ai fait qu’une seule proposition, avec un temps d’écriture plus long, ce qui convient mieux aux participants : ils donnaient souvent « tout » dès le départ, y mettaient beaucoup d’énergie et avaient donc plus de mal à passer ensuite à une seconde proposition plus ciblée…
J’alterne des propositions d’écriture autour de 5 grands thèmes : le corps, le mouvement, l’objet, le lieu, le rêve, la rencontre, tous en lien avec le Visible et l’Invisible, mon champ de travail pour cette résidence. Mais les participants restent en moyenne 6 semaines au LHSS, les départs et nouvelles arrivées sont incessants et je n’ai pas vraiment pu construire un travail suivi avec eux, faute d’un groupe fidélisé au fil des mois. C’est une difficulté dont j’avais conscience mais qui s’est révélée plus frustrante que je ne l’aurais cru.
La littérature en atelier
Je lis toujours un petit texte, point de départ et inspiration de la proposition, naviguant entre Perec, Kafka, Cendrars, Duras, Leiris, Bashô, Carver et Gainsbourg ! Très éclectique, souvent ludique… Mon usage de la littérature très contemporaine reste limité !
Nathalie Kuperman est venue en février et deux auteurs de BD vont venir en avril, Gilles Tévessin et Thomas Gabison.
Bien sûr, je leur ai lu des extraits de mes livres.
Je me considère alors comme un point d’ouverture, une fenêtre avec voix donnant accès à d’autres perspectives et à d’autres existences, à d’autres témoins restituant le monde. Certains regardent, écoutent, d’autres sont davantage intéressés par la partie « écriture » proprement dite, d’autres encore lisent Michelet et pensent que Perec avec ses « Je me souviens » n’a rien inventé du tout et n’a vraiment aucune imagination !
L’auteur, dans l’atelier
Je voulais, par cette résidence et ces ateliers, confronter l’espace intime de l’écrit à une réalité mal connue, celle d’hommes et de femmes aux prises avec de profondes difficultés de vie : je l’ai prise de plein fouet dans le cœur, cette réalité humaine. De très belles rencontres, des moments forts, des écrits puissants, mais aussi beaucoup de détresse et le sentiment que je n’avais pas le droit d’écrire et d’être payée pour ça tandis que d’autres crevaient dans la solitude, presque sous mes yeux.
Du coup, cela m’a profondément perturbée dans mon travail de création pendant plusieurs mois. J’ai arrêté ce que j’écrivais, tâtonnant, cherchant, reprenant, j’ai commencé d’autres textes, je n’ai pas réussi à être satisfaite de ce que j’écrivais, les ateliers chaque semaine me demandant du temps et de l’implication… Je commence un peu, au bout de 6 mois, à trouver un rythme plus satisfaisant côté écriture et à « reprendre mes esprits ».
Je ne m’attendais pas à un tel bouleversement dans ma pratique, bouleversement également lié au temps tout à coup plus vaste qui m’a été accordé pour écrire et qui a, avant tout, rimé pour moi avec solitude et remise en question. Car je voulais l’expérience réellement radicale et je n’ai pas accepté de proposition de travail pendant cette période.
L’Autre, dans l’atelier
Oui, il y a rencontre avec l’Autre dans toute son essence d’Inconnu, et donc dans toute sa grandeur, son aridité, sa richesse, son silence, son humanité, rencontre également avec un Autre moi-même dans sa porosité, sa fragilité, sa pauvreté… Expérience de l’humain et du désert, de l’Autre soi…
C’est un partage profondément sincère autour des vies de chaque participant, autour de l’imaginaire, des souvenirs et des expériences, révélant la capacité de chacun à restituer et à transformer une situation par les mots. Donc une dynamique réellement porteuse d’énergie, je pense, pour chaque participant, pour le groupe et l’institution elle-même. Une énergie dont je me suis sentie de mon côté presque vidée pour l’avoir donnée de manière certainement trop engagée pendant les premiers mois.
Les textes
Je les accueille toujours avec étonnement, respect, admiration, certains textes étant vraiment saisissants. C’est là que l’écriture livre sa pleine puissance, celle de tous les possibles. Qui croirait que cet homme fatigué, à la main tremblante, que je comprends mal tant il mange ses mots, ira nous livrer ce texte magnifique sur la naissance de sa fille ? Ou encore que cet autre, qui ne veut pas écrire mais vient juste voir, nous offrira finalement de très sensibles haïkus aux accents nostalgiques ? À chaque séance, c’est l’impatience de la découverte, c’est la curiosité et la surprise renouvelées…
Il est bienvenu de pouvoir proposer une sélection de ces textes sur le site remue.net, donnant ainsi à lire au plus grand nombre des textes d’une juste poésie, souvent drôles et poignants, parfois décalés, toujours sincères, ceux d’hommes et de femmes anonymes dont la capacité à dire qui ils sont et à exprimer ce qu’il y a en eux de profondément vivant est une affirmation unique de leur identité humaine.
Je ne sais pas encore si je renouvellerai cette expérience. Ce que j’ai à assimiler pour le moment est assez ardu. Je l’envisagerai peut-être un jour avec d’autres publics…