« Armand » de Véronique Desboeufs 

Ce texte a été écrit sur une proposition d’écriture de Béatrice Limon à partir de « La ligne de nage » de Julie Otsuka et figure parmi les dix textes sélectionnés. 
Véronique Desboeufs 

Armand

Il se rappelle de son sourire lumineux lors de leur rencontre et de leurs longues promenades au bord du canal.

Il ne voulait pas d’enfant  ; mais il se souvient encore de son émoi lorsqu’il a vu pour la première fois tes prunelles bleues te fixer, et plus tard, lorsqu’il t’a entendue prononcer pour la première fois « papa ».

Il revoit ces dimanches, où la silhouette sombre de l’arbre dénudé se découpait sur le rectangle gris de la fenêtre de sa chambre. Derrière, le ruban de l’asphalte se déroulait jusqu’à l’horizon. Le vélo rouillait d’attendre sous l’appentis.

Il se souvient de la joie, du sentiment d’être enfin soi, lorsque le train a démarré, l’emportant vers un ailleurs, une autre vie qui serait forcément meilleure que celle qu’il connaissait  ; il se rappelle aussi de la douleur lorsque ta mère lui avait dit que ce n’était pas la peine qu’il revienne. Il ne savait pas, alors, qu’il ne te reverrait pas avant de nombreuses années.

Lorsqu’il a quitté la maison de ses parents pour aller étudier à Paris, il s’est senti libre, pour la première fois  ; enfin, il allait vivre loin de son père.

Il s’ennuyait à l’école  : il apprenait très vite, la lenteur des autres l’exaspérait. Alors il dessinait discrètement des petits bonshommes dans ses cahiers ou regardait par la fenêtre, s’imaginant sauter de toit en toit comme Spiderman.

La dernière image qu’il a de toi est celle d’une petite fille aux longs cheveux bruns, il y a vingt ans.

V.D.