« Elle » de Annie Bégot

Ce texte a été écrit sur une proposition d’écriture de Béatrice Limon à partir de « La ligne de nage » de Julie Otsuka. Il figure parmi les dix textes sélectionnés. 

Annie Bégot 

Elle 

Elle est au centre, entre le père et la mère. Elle étend ses bras sur les côtés, paumes vers le ciel, regard en face. Espace sombre, silhouettes massives, plantées sur le sol. On entend un son grave, ténu, insistant, peut-être le vent passant sous la porte. Le père prend sa main, tire son bras vers lui ; la mère tourne la tête, le regard fixe. Elle se tourne vers le père et son autre bras cherche la mère. Sa queue de cheval virevolte en l’air. Elle s’agenouille soudain, prend sa tête dans ses mains.

Elle était la plus petite. Elle restait des heures le dimanche attendre qu’Il regarde ses dessins. Elle dessinait des traits de toutes les couleurs qui se croisaient, emplissaient l’espace de la feuille et se rejoignaient pour former une grande famille.

Puis, trop grande, elle devait monter sur le dernier rang pour la photo de classe, embêtant car elle ne pouvait pas montrer ses jambes dont elle était fière, les plus petits étant devant. Elle ne croyait plus en Dieu mais, pourtant, avait revêtu une longue robe blanche pour sa communion, posé pour la photo avec des gants blancs. Après la cérémonie, elle avait changé son aube contre une mini-jupe.

Elle avait ses entrées à la Chamade, la boîte du centre, ouverte en après-midi après les cours, à seize heures. Gratuit pour les filles de quinze à dix-huit ans, plusieurs slows pour commencer et chauffer la salle et le déhanché prenait la suite ; dans les lumières pailletées, la tête tournait vite et les corps cherchaient la tendresse.

A.B.

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