Christophe Dellocque : « Je ne me souviens pas » ou l’histoire d’une adaptation théâtrale

Dans l’adaptation théâtrale du livre de Mathieu Lindon « Je ne me souviens pas », le comédien Christophe Dellocque incarne avec grâce et légèreté des souvenirs universels (la première fois), les regrets intimes ou tout simplement ces moments délicieux qui valent la peine d’être vécus parce qu’ils sont singuliers. Il nous parle ici de l’adaptation de ce texte littéraire, qu’il a réalisée avec Sylvain Maurice (Directeur  du Centre Dramatique National -CDN- de Sartrouville), et metteur en scène du spectacle).

L’Inventoire : À l’inverse de Georges Perec dans « Je me souviens », Mathieu Lindon livre les fragments des choses dont il ne se souvient pas. Comment vous est venue l’idée d’adapter ce livre au théâtre ?

Christophe Dellocque : Comme une évidence. Quand j’ai lu le livre, très vite je l’ai fait à haute voix, j’étais troublé par certaines similitudes entre les non-souvenirs de l’auteur et les miens. Malgré des histoires très différentes, il y avait là un livre qui parlait de moi. Et d’autres, de nous tous.

Qu’avez-vous aimé dans ce livre ?

Je lis depuis longtemps les livres de Mathieu Lindon. Celui-ci a de particulier qu’il est un récit autobiographique fragmenté et que les non-souvenirs de l’auteur nous ramènent aux nôtres, même si nous n’avons pas vécu les mêmes choses que lui. Il y a une communauté de souvenirs, une universalité qui nous constitue tous comme un même être, même si nous n’avons pas traversé les mêmes expériences de la même façon. Reste que beaucoup de choses qui nous constituent tous sont tombées dans l’oubli, volontaire ou pas et que le texte de Lindon – et maintenant le spectacle- nous y renvoie.

Photographie: Christophe Raynaud de Lage

Dans quelle mesure le livre de Mathieu Lindon « Je ne me souviens pas » répond-il au livre de George Pérec « Je me souviens » ?

Il faudrait poser la question à Lindon lui-même. Je ne pense pas que ce soit une réponse directe, mais un point de départ. D’ailleurs Mathieu n’a pas relu le Pérec en cours d’écriture. En fait, Pérec liste des souvenirs de la mémoire collective d’une époque précise, alors que Lindon parle de mémoire intime, et du coup, est plus universel.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans cette transposition d’un livre de 150 pages à une trentaine pour la scène.

Créer une théâtralité à partir d’une écriture et d’une construction qui ne le sont pas.

La posture du lecteur n’est pas la même que celle du spectateur, il peut prendre le temps, relire, réfléchir ; le spectateur assiste à un événement qui a une durée établie et qui ne s’arrêtera pas en cours.

Il faut trouver le moyen de lui faire parvenir les idées, le rythme de l’écriture d’une manière spécifique au théâtre.

Les textes de Mathieu Lindon n’ont jamais été adaptés au théâtre. Vous a-t-il laissé libre de cette adaptation ?

Totalement. Quand je l’ai contacté pour avoir son autorisation, Mathieu est venu voir Christophe Dellocque fait sa Sylvie Joly, il a vu mon travail et nous a laissé carte blanche. Il n’a pas voulu lire l’adaptation, disant qu’il n’était pas auteur de théâtre et qu’il était bien conscient qu’on devait couper, réorganiser. Il nous a offert une confiance totale et a donc découvert l’adaptation de son texte le soir de la première, en même temps que le spectacle.

Comment est intervenu le metteur en scène dans ce travail ?

Tout de suite puisque le projet est parti d’un désir commun de retravailler ensemble avec Sylvain Maurice. Pour l’adaptation j’ai d’abord amené les fragments qui m’intéressaient le plus, Sylvain en a écarté certains, en a amené d’autres, puis il a opéré des  coupes dans les morceaux choisis pour établir un rythme scénique. Nous avons essayé de respecter la chronologie du livre, puis de classer par thématiques… Je suis retourné au livre, ai proposé de nouveaux passages, réinscrit des phrases disparues… Pour le passage au plateau il y a eu beaucoup de tentatives, à une table avec un ordinateur, debout avec un micro etc… pour finalement aboutir à cette boîte de lumières qui fonctionne comme  un espace mental. Et beaucoup de travail pour m’amener à transmettre le texte avec précision, faire entendre les méandres de cette pensée tout en lâchant prise, en acceptant peut-être aussi de livrer des choses de moi autant que Lindon en livre en écrivant…

Photo: Christophe Raynaud de Lage

Vous avez joué dans des pièces de Labiche, des pièces plus contemporaines comme celle de Larry Tremblay «Le Déclic du destin», et il y a 2 ans vous avez écrit et créé un seul en scène autour des sketches de Sylvie Joly au Lucernaire.

L’humour est-il un art de vivre, un remède à la mélancolie ou votre terrain de jeu préféré ?

Les 3 à la fois… même si la mélancolie prend parfois le dessus. Christophe Dellocque fait sa Sylvie Joly est un spectacle drôle teinté de nostalgie, de la perception du temps qui passe, du vieillissement. Mes textes apportaient un peu de gravité à l’humour de Sylvie Joly. Il y a d’ailleurs des thèmes très proches chez Lindon, pas traités de la même façon. Du coup chez Lindon, on a essayé d’amener de la légèreté dans sa gravité, même s’il a beaucoup d’humour.

Rire et faire rire sont deux choses phénoménales, je ne peux pas concevoir de relation forte avec des gens qui ne me font pas rire ou que je ne fais pas rire.

De quoi vous souvenez-vous là maintenant tout de suite ?

D’un jeune couple d’à peine 30 ans hier soir, au premier rang, qui riait très fort, comme si le texte leur révélait des choses d’eux-mêmes qu’ils n’imaginaient pas.

D’une pré-ado avec qui je travaillais en atelier sur les souvenirs d’enfance et qui m’a répondu « moi, monsieur, je n’ai pas de souvenir ».

De quoi ne vous souvenez-vous pas ?

Je ne me souviens pas de la première fois où j’ai compris que ma vie ne serait peut-être pas aussi simple que celle de gens qui m’entouraient. Ni de la fois où j’ai compris qu’elle était plus simple en fin de compte.

Christophe Dellocque

D.P.

Spectacle: Je ne me souviens pas de Mathieu Lindon. Avec Christophe Dellocque au Théâtre des Déchargeurs à 18h30. Du 21 février 2019 au 6 avril 2019.

(Jeudi, Vendredi et Samedi à 18h30)