Claudine Tondreau: « Ecrire un roman c’est vivre une vie en parallèle »

sam_ph_30804_cover1Á l’occasion du troisième roman de Claudine Tondreau « L’Adorante », paru aux Editions Samsa nous étions allés la rencontrer dans sa Belgique natale. Nous republions aujourd’hui cet article, qui emprunte les  chemins des ateliers d’écriture.

Dans ce livre, une femme part à la recherche des secrets d’une autre, qu’elle nomme l’Adorante. Le livre débute par une séance d’atelier d’écriture, ce qui nous a invité à en savoir plus sur sa genèse et sa composition. Entre réalisme magique et séances d’écriture, il s’agit d’une aventure passionnante qui croise les chemins parcourus par deux amies dont l’une cherche l’ombre et l’autre, la lumière. Dans une langue pure et extrêmement précise, Claudine Tondreau nous convie à un parcours poétique qui nous mène de Bruxelles à Ostende, en passant par l’Italie.

L’inventoire : Claudine Tondreau, votre roman « L’Adorante », s’ouvre sur une séance d’atelier d’écriture, à laquelle votre narratrice se rend. Ce début s’est-il tout de suite imposé à vous ?

Claudine Tondreau : Ce roman a connu un long cheminement. Une première version s’intéressait exclusivement au personnage d’Hildegarde (l’Adorante). La narratrice n’était qu’observatrice. Elle ne révélait rien d’elle-même. Le roman est resté dans un tiroir. Des années plus tard – j’ai écrit et publié entretemps L’œil du Crocodile – j’ai voulu reprendre le roman et, sur le conseil de lecteurs avertis, développer le personnage de la narratrice. De manière à augmenter l’effet de fiction (et sans savoir si j’y suis parvenue tout à fait) j’ai fait débuter le roman par un atelier d’écriture, tout à fait fantasque, il faut bien le dire – rien à voir avec les ateliers de l’Aleph ! – mais qui révélait tout de même l’étrangeté du lieu où il se déroulait et qui m’avait fascinée. Les lieux sont pour moi d’excellents porteurs de fiction.

L’inventoire :  Les séances d’écriture structurent le livre. Est-ce un choix de composition ?

Claudine Tondreau:  L’alternance des moments d’écriture et de description des lieux où vit la narratrice sont conçus comme des moments de respiration, d’échappée, de légèreté par rapport à l‘intensité des scènes avec Hildegarde qui peuvent être ressenties comme étouffantes pour la narratrice comme pour le lecteur.

L’Inventoire : Vous choisissez de raconter l’histoire d’une femme qui ne supporte plus la lumière. Une maladie très invalidante et qui semble s’amplifier à mesure que s’avance le récit. Comment vous est venue cette idée ?

Claudine Tondreau J’ai effectivement connu une personne souffrant de cette maladie, qui m’avait beaucoup touchée. Ce personnage très particulier m’a inspirée pour ce roman grâce à certains éléments qu’elle a bien voulu me confier en vue de l’écriture. Cependant, il me semble que ce que l’on écrit est encore bien loin de révéler le mystère des êtres. C’est une tentative. La fiction construite autour de ce personnage, avec son côté exalté, a pour but de rendre compte de l’étrangeté du personnage, qui était bien réelle.

L’Inventoire : Comment écrivez-vous. Tous les jours ou quand ça vient?

Claudine Tondreau: Je prends des notes ou j’écris de courts textes sur des petits événements quotidiens, de manière un peu sauvage et irrégulière. Il s’y trouve parfois quelque chose qui me stimule à écrire un texte plus long. Les romans ont été écrits dans des périodes particulières, des sortes de parenthèse : il faut du temps et beaucoup de courage pour écrire un livre. Décider de se « retirer » de la vie sociale, en refuser les sollicitations merveilleuses, en tout cas pour ce qui est du premier jet. Cela exige une mise en solitude forcenée qui est une décision difficile à prendre pour mon entourage et moi-même, d’autant que j’ai une nombreuse famille.

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Les Thermes d’Ostende – Photo Harry Gruyaert

L’inventoire : La narratrice accomplit à travers le roman un véritable voyage initiatique dans l’enquête qu’elle va mener sur une autre. Cependant, au fur et à mesure que la narratrice s’approche, L’Adorante semble s’éloigner. Pouvez-vous nous parler de cette présence-absence ?

Claudine Tondreau:  Cette question me fait réfléchir ! Le thème de l’éloignement se retrouve dans mes trois romans. Dans le cas de l’Adorante, Hildegarde entre d’elle-même dans son propre monde auquel sa compagne a de moins en moins accès. Par ailleurs, cette dernière perçoit bien le risque d’engloutissement. Elle est déstabilisée. Le « rapport de force », la position surplombante de la femme en bonne santé, s’inverse. A partir d’un certain moment, l’Adorante est surnommée l’Extra-terrestre. Elle n’a pas d’ombre. Sa peau reste lisse, ne vieillit pas. Elle appartient de moins en moins au monde des humains. Elle appartient au cosmos, ce qui est une métaphore de la mort où son amie ne peut évidemment la suivre.

L’Inventoire: Est-ce que l’Adorante effacée ne révèle pas beaucoup de choses sur la narratrice pleine de vie ? Ne lui révèle-t-elle pas sa part d’ombre ?

Claudine Tondreau:Les deux personnages se manifestent comme le jour et la nuit. Tout les oppose. Et c’est aussi ce qui les relie. Elles ont besoin l’une de l’autre pour des raisons différentes. Mais la narratrice finit par « s’abîmer » au contact de cette amie fantasque dont la maladie s’aggrave. La charge finit par lui peser. Elle ne reçoit plus rien en retour. Elle arrive au bout de quelque chose pour elle-même. Elle est plus humaine peut-être que l’Adorante.

L’Inventoire : Pourquoi avoir appelé votre héroïne l’Adorante. Est-ce que « adorer », ça brûle? Parlez-nous de votre héroïne.

Claudine Tondreau: Le titre L’Adorante a été choisi par l’éditeur qui n’aimait pas « La femme de verre », que j’avais proposé. Il est vrai qu’Hildegarde fait partie de la horde sympathique des gens émerveillés, passionnés, émus d’un rien. Ils me touchent, m’irritent, m’étonnent. Leur naïveté évoque la fraîcheur de l’enfance (« son bonheur de carte postale ») et l’on se dit que l’on n’est plus soi-même capable de voir la beauté des choses. Cette qualité est attirante à petites doses. Par moment, Hildegarde est vraiment « à côté de la plaque ». Par ailleurs, le fait que le personnage soit allemand est important. Il m’intéressait d’explorer comment le personnage s’en sortait avec l’héritage de la guerre et les traumatismes vécus dans l’enfance, sans compter sa fidélité à son énigmatique frère jumeau.

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Harry Gruyaert

L’Inventoire :  Il y a même une certaine passion amicale qui s’installe au fil du livre et c’est ce qui m’a frappée. Pensez-vous que l’amitié est un sentiment aussi passionné que l’amour ? Est-ce que c’est cela que vous vouliez développer ?

Claudine Tondreau:  L’histoire relate un huis clos entre deux personnages féminins qui peut apparaître comme passionné – je dirais plutôt tracassé – mais leur amitié reste ambiguë en ce sens que l’une est en bonne santé et l’autre malade, que l’une prend soin de l’autre et a entrepris de « garder sa mémoire » en écrivant sur elle, avec nécessairement une vision surplombante. Pour répondre à la question sur la passion dans l’amitié, est-ce bien Italo Calvino qui définit l’amitié comme un charme ? Quand le charme cesse, l’amitié cesse.

L’inventoire : Claudine Tondreau, vous êtes connue en tant qu’auteur belge pour votre proximité littéraire avec le réalisme magique. Parlez-nous de la composition de ce roman, comment le mystère entre subrepticement dans le réel, pour faire vaciller les évidences ?

Claudine Tondreau : Difficile de répondre, car cela me vient naturellement ! C’est le mystère des personnages, des lieux et des situations qui m’intéresse. Sinon je m’ennuie… L’étrangeté du réel m’attire, je la recherche, je ne l’invente pas, elle est là. Pour les lieux, le présent empiète sur le passé. Pour les personnages également, le passé laisse ses sédiments invisibles, actifs ou dormants. Et tout cela construit la personne que l’on a devant nous, qui est une enveloppe bruissante, inquiète, envahissante, séduisante… Le présent se construit – apparemment neuf – sur des ruines, ne fût-ce que la mort des ancêtres. Pour Hildegarde, c’est le souvenir de la guerre qui est encore blessant, ou celui de l’enfant mort, ou de sa relation avec l’Italien. Il y a plusieurs couches dans les personnages. Sous la maison de la narratrice coule une rivière dans laquelle autrefois on lavait le linge. Aujourd’hui on dirait que l’eau ronge les fondations de la maison. Le réel n’est pas seulement ce que l’on voit avec les yeux.

 L’inventoire : Quelles sensations vous a procuré l’écriture de ce livre ?

Claudine Tondreau: Du plaisir, du travail, de la perplexité…!Comme toute écriture, un peu plus d’intelligence du réel, y compris de ce que je vivais durant ces années. L’écriture de certaines scènes m’a vraiment amusée. Et aussi le jeu de la fiction, comme le fait d’introduire le vol de mon ordinateur, qui a vraiment eu lieu. Ecrire un roman c’est vivre une vie en parallèle, avec tous ses aléas, et le temps que je prends à l’écrire est celui du temps humain. Je n’écris pas d’une traite ! C’est une histoire, pour moi, toujours compliquée mais passionnante.

L’inventoire : Nous ne dirons rien sur la fin du livre, mais… Est-ce une métaphore de l’écriture ou une réflexion sur l’acte d’écrire qui vous a dicté ce livre ?

Claudine Tondreau : Ce glissement perpétuel entre l’écriture et l’observation apparaît comme une métaphore ou une réflexion alors que c’est ce qui se passe lorsque l’on écrit : le tressage de la fiction et du réel (nous parlions de réalisme magique…). C’est un jeu bizarre qui m’étonne toujours. L’atelier (ou la chambre) d’écriture est le lieu où l’on met la vie en scène, par un artifice délicieux, qui reste toutefois un artifice tout en devenant quelque chose de vivant et qui nous trouble, nous modifie ou nous éclaire. Qui pourra jamais expliquer cela ?

tondreauclaudineL’inventoire :  Votre prochain livre est-t-il déjà en chantier ?

Claudine Tondreau: Probablement des nouvelles, des petites scènes curieuses, confrontant vie publique et vie privée, enfants et adultes.

L’inventoire :  Merci de nous avoir consacré un peu de votre temps.

Propos recueillis par Danièle Pétrès

Pour aller plus loin:

http://www.inventoire.com/le-realisme-magique-vu-par-claudine-tondreau/

L’histoire qui se déroule dans ce roman en quelques mots : Une femme se rend à un atelier d’écriture et décide d’écrire sur sa collègue et amie, L’Adorante, atteinte d’une mystérieuse maladie, dont elle va peu à peu percer le secret. Celle qui ne supporte plus la lumière semble progressivement s’effacer tandis que la narratrice entre de plus en plus dans sa vie.

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