Écrire à partir de « Les Pays » de Marie-Hélène Lafon

Cette semaine, Alain André vous propose d’écrire à partir de l’ouvrage de Marie-Hélène Lafon intitulé Les Pays (Buchet-Chastel, 2012). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1500 signes maxi) jusqu’au 18 septembre 2016 à l’adresse : atelierouvert@inventoire.com

510_marie_helene_lafontExtrait

« Les machines de la laverie lavaient et séchaient, elle en avait été surprise la première fois, avait hésité, tentée de relaver le linge, humant avec suspicion l’odeur douceâtre et chaude qui nimbait les tissus. Elle avait une mémoire aiguë des odeurs et savait par cœur les bois nus de février, les granges vides à la fin du printemps ou la Santoire grosse de neige fondue. Elle connaissait aussi le remugle de chaque salle de cours, de chaque amphithéâtre, des bus de la ligne 47, de la petite station de métro Maison Blanche ou des couloirs de la station Châtelet. Les rues la laissaient perplexe, quelque chose de trop volatil lui échappait ; elle avait pensé les premiers mois que ça puait, carrément, que Paris puait, sans nuances, sauf dans le quartier chinois de la lessive où s’entassaient sur les trottoirs des sacs de victuailles, d’herbes, de fruits sans nom. Ensuite elle s’était habituée ; d’ailleurs elle n’était pas là pour sentir, elle avait besoin de toutes ses forces pour le travail. »

Suggestion

Claire est montée à Paris pour étudier. Elle est dans le passage : elle n’oublie rien du monde premier, elle apprend la ville où elle fera sa vie. C’est dans Les Pays, un roman publié chez Buchet-Chastel fin 2012, tout comme L’Album, abécédaire célébrant le même Cantal, du mot Arbres à d’autres, Vaches en passant par Chiens, Journal ou Tracteur. C’est donc avant Joseph (2014), Chantiers (Éditions des Busclats, 2015) ou Histoires (2015), qui rassemble les nouvelles écrites par Marie-Hélène Lafon. Les Pays a reçu le Prix du style, et de fait, c’est souvent à Flaubert qu’on songe en lisant ce roman : même usage du « on », même extrême attention au mot, même mélancolie parfois, par exemple. Le Salon de l’Agriculture a remplacé les Comices, voilà tout : « Le lendemain, dans le train du retour, ballotés, enfoncés dans des pensées vagues, on avait réfléchi, on s’était dit que, finalement, au Salon, on n’aurait pas vu grand-chose. » Au reste, l’auteur confesse Un cœur simple comme modèle indépassable.

Dans l’extrait ci-dessus (aux pages 62-63), le passage se décline sous la forme d’une opposition d’odeurs, trois pour le Cantal, qui donnent la base, un peu plus pour Paris. Quelles odeurs (mais aussi quels mots – un pré n’est pas un champ, l’écire ou la burle ne sont pas le vent) nous reconduisent le plus sûrement, quant à nous, vers le monde premier ? Quelles odeurs nouvelles s’y opposent le plus nettement ? Pour chacune d’elles – deux fois trois, par exemple -, on pourrait, après l’avoir nommée, chercher à quoi elle ressemble, dans quels songes et associations d’idées elle nous entraîne, comment elle nous traverse le corps, ce qu’elle serait si elle n’étais pas une odeur, mais un choc visuel, une musique, un contact ou un goût. Cela ferait un petit texte, fondé sur un réseau d’oppositions, tel qu’on en est pour une part constitué. Un feuillet. Et si vous nous l’envoyiez ?

Lecture

Je me souviens d’une soirée consacrée au genre de la nouvelle, dans une librairie du 20ème arrondissement. Il y avait là, en compagnie d’Annie Saumont, Marie-Hélène Lafon, que je voyais pour la première fois. Elle avait lu pour nous, je crois, La maison Santoire, une nouvelle publiée en 2007 par un éditeur auvergnat, Bleu autour. La rigueur de ses propos, l’intransigeante âpreté de son travail m’avaient saisi. Nul désir chez elle de « venger sa race », comme l’écrivit Annie Ernaux, on a ici un autre ton, jugez plutôt : « Je n’en reviens pas de cette grâce insigne que c’est d’en être » (du Cantal). J’ai lu par la suite la plupart des romans et recueils parus chez Buchet-Chastel : Le soir du chien (2001 et prix Renaudot des Lycéens), Liturgie (2002), Sur la photo (2003), Mo (2005), Organes (2006), Les derniers Indiens (2008), L’Annonce (2009). J’ai découvert que Marie-Hélène Lafon, née en 1962, devenue professeur agrégée de Lettres Classiques, a choisi d’enseigner dans un collège situé en zone d’éduction prioritaire (ZEP). Les Pays a reçu le prix du Style 2012 et le trophée du meilleur roman aux Globes de cristal en février 2013. Le premier constitue un hommage rendu à une langue d’une grande minutie, presque au bord de l’hypercorrection, que l’auteur respecte et maîtrise jusqu’au moindre détail. Si cela lui amène, ainsi qu’à Flaubert, de nouveaux lecteurs, il s’agit d’une excellente nouvelle.

A.A.

Alain André a pris l’initiative de créer Aleph-Écriture en 1985. Auteur de romans, de fictions brèves et d’essais, il conduit des ateliers d’écriture à La Rochelle. Ses prochains ateliers : une « Formation générale à l’écriture littéraire » (atelier régulier) et un module de 5 journées « Commencer un roman ».

Marie-Hélène Lafon proposera aux participants d’Aleph-Écriture, le 4 mars 2017, une intervention sur le style.

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