Écrire à partir : « De la Main d’une femme », d’Astrid de Laage

En ce début d’année, Béatrice Limon vous propose d’écrire à partir du livre d’Astrid de Laage, De la Main d’une femme, (Grasset, mai 2023) et de montrer les pensées vagabondes d’un personnage en route pour accomplir quelque chose d’important.

Vous pouvez poster vos textes (1500 à 2000 signes maximum) sur Teams Inventoire jusqu’au 5 février 2024Si vous êtes déjà inscrit sur notre plateforme il vous suffit de vous connecter, sinon, merci d’utiliser ce lien pour vous inscrire gratuitement : Bulletin d’inscription sur la plateforme de L’Inventoire. 

En 2024, L’Inventoire se réinvente et éditera chaque mois un livre téléchargeable, regroupant les 10 textes choisis dans le cadre de notre atelier d’écriture ouvert Teams. Une manière de fêter les 10 ans de L’Inventoire tout au long de l’année, en lançant cette collection !

Astrid de Laage

Formatrice animatrice chez Aleph écriture, c’est une très fine connaisseuse de l’œuvre de Virginia Woolf, autour de laquelle elle anime un stage passionnant, « Dans le sillage de Virginia Woolf ». Elle a publié un recueil de nouvelles en 2012, Funambules, et un roman en 2019, Le Ciel bleu n’est pas photogénique, dans lequel elle met en scène un groupe d’amis en vacances pour explorer les non-dits, les secrets, les failles, jusqu’à l’explosion.

Nous la recevrons le 24 janvier dans les locaux parisiens d’Aleph. Inscriptions ici.

De la main d’une femme

C’est un peu le même cheminement dans ce roman qui se présente sous la forme d’une enquête littéraire. Lointaine cousine de Charlotte Corday, connue pour avoir assassiné Jean-Paul Marat le 13 juillet 1793 à Paris, dans son bain, Astrid de Laage s’emploie à écrire un portrait de femme plutôt qu’à raconter l’histoire la plus connue.

L’éducation de Charlotte Corday, sa famille, son tempérament, ses lectures, les événements auxquels elle assiste qui forgent ses convictions, ces éléments réunis contribuent à faire connaître la femme au-delà de ce résumé passé à la postérité : celle qui a assassiné Marat.

À petites touches, en plusieurs fois, Astrid de Laage décrit par le menu la fatale journée du 13 juillet 1793 et montre Charlotte Corday se préparant à agir.

Extraits

Samedi 13 juillet, Palais-Royal. Charlotte traverse la place d’une bonne enjambée. Il règne sur la ville un climat de suspicion, on peine à reconnaître à qui l’on a affaire sous les tenues nouvelles : des vêtements colorés, des chiffons, des indiennes. (…) Charlotte porte une tenue provinciale qui ne masque pas son appartenance à la noblesse. Elle pense à son voyage en diligence, à la promiscuité insupportable, à cet homme qui n’a cessé de la toucher de son regard sale.

Charlotte a été élevée dans l’idée que les carcans sont des garde-fous nécessaires. Sans eux le corps est livré à lui-même, en proie aux passions. Elle envie pourtant le naturel avec lequel les femmes se comportent ici, s’habillent, s’appuient au bras d’un homme, geste dans lequel elle croit surprendre une forme d’intimité. Un trouble la traverse, elle qui ne connaît pas la tendresse. Des sensations nouvelles font vaciller ses certitudes. Elle voudrait se sentir libre, elle voudrait aimer et être aimée.

(…) Elle a vingt-quatre ans et elle s’apprête à mourir.

(p.57 chapitre 13)

Samedi 13 juillet, Charlotte.

Le fouet claque dans la poussière dorée. Il règne une atmosphère de fête dans ce matin d’été. Charlotte se laisse aller contre le dossier du fiacre qui s’engage dans la rue Saint-Honoré. Assise dans le sens inverse de la marche, elle observe les gens qui traversent la rue dans un mouvement désordonné, attrapant au passage le visage fardé d’un perruquier, la gouaille d’un colporteur, curieuse de ce monde nouveau qui invente ses manières de faire et de dire. Puis elle ferme les yeux, parce que tout ça n’a plus d’importance, elle sent le poids du couteau dans son corsage, la gaine en peau de chagrin lui mord la chair. Elle fait ce qu’il faut pour que son corps marche au pas de son esprit, qu’il ne s’affole pas, comme un cheval au dressage.

– Où vas-tu, citoyenne ? a demandé le cocher tout à l’heure au Palais. – Chez Marat, a-t-elle répondu. Les hommes qui ont perquisitionné la chambre de Charlotte à l’hôtel de la Providence ont retrouvé une liste d’adresses. Celle de Marat n’y figurait pas : tout le monde sait où habite l’Ami du peuple.

Le fiacre s’arrête un instant puis s’engage dans la rue de la Monnaie. Pas si vite ! pense-t-elle. Au coin de la rue, elle a aperçu une marchande d’oranges et elle a envie de se souvenir de ce jour où son grand-père avait fait venir ces sphères pleines d’un jus acidulé qui explosait dans la bouche. Leur peau douce et grumeleuse avait un parfum si envoûtant qu’il lui faisait venir des désirs de voyages. Comme ces bateaux qui s’en allaient vers le large depuis le port de Caen. Cela devait être à Noël, lorsque toute la famille se réunissait au manoir de Cauvigny, la demeure du grand-père Corday. Un endroit où elle avait sa propre chambre. Elle aimait se retrancher dans l’alcôve qui abritait son lit recouvert d’un couvre-pieds de soie bleue. Elle oubliait alors l’humeur noire de son père et les silences de sa mère. La dot n’avait pas été versée. Son père se sentait floué par cette alliance boiteuse. Le corps de sa mère ployait sous le poids du déshonneur. Elle essuyait sans broncher les remarques acerbes de son beau-père et lisait dans le regard de ses belles-sœurs le soulagement d’avoir échappé à pareille humiliation. Charlotte ne peut oublier l’humeur toujours plus sombre de son père et l’effacement de sa mère. L’effacement, jusqu’à la mort.

Mais ce n’est pas le moment de s’amollir. Elle est venue pour tuer Marat (p.68-69 chapitre 17).

Proposition d’écriture

Étonnant, non, cette façon de digresser, de se promener dans l’esprit de Charlotte Corday sur le chemin de l’appartement de Marat ? C’est à un exercice de ce genre que je vous propose de vous livrer. Montrer les pensées vagabondes d’un personnage en route pour accomplir quelque chose d’important – pas forcément un assassinat.

La pensée n’est pas linéaire ; elle se nourrit de l’environnement que l’on traverse. Les sons, les lumières, les couleurs, les odeurs, les gens que l’on croise, tout cela se tisse avec les idées propres à chacun.

Je vous invite à mettre en scène un personnage en route pour accomplir un acte fort, de le montrer à la fois préoccupé par son but et influencé par ce qui l’entoure, ce qu’il voit, sent, ressent. Il peut marcher dans une ville, traverser la campagne en train ou tout autre moyen de transport qui vous conviendra.

Ce sera plus facile d’écrire à la troisième personne : cela vous permet de montrer ses mouvements et ses pensées de façon plus naturelle qu’un personnage qui dit « je ».

B.L.

Les prochaines animations Béatrice Limon : À partir du 13 janvier 2024, cycle d’approfondissement sur l’enquête littéraire, « Enquêter pour écrire »

À partir du 29 février, stage d’initiation à l’enquête littéraire, à distance, « Ouvrir l’enquête »

Le 18 janvier, atelier à distance « Écrire avec nos contemporains » à partir de Léonor de Recondo, Le Grand feu (Grasset, août 2023)

Le 24 janvier dans les locaux parisiens d’Aleph, rencontre littéraire avec Astrid de Laage autour de son livre De la main d’une femme (Grasset, mai 2023).