Écrire à partir de « La robe de mariée » de Katherine Battaiellie

Cette semaine, Hélène Massip vous propose d’écrire à partir de La robe de mariée de Katherine Battaiellie (éditions Marguerite Waknine, 2015). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1 500 signes maxi) jusqu’au 18 octobre à l’adresse suivante : atelierouvert@inventoire.com.
Extraits

 

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ma robe ne sera pas de tissu neuf trop raide les draps sont lisses et doux de l’usure des lessives de l’enveloppement des corps des corps usés comme les draps je dois être très attentive parce que le fil casse facilement ne pas serrer trop les nœuds mais la robe ne doit pas se déchirer dans mes mouvements surtout avec les chaises cassées ce qui me gêne c’est le bruit je préfère travailler dans la lingerie mais j’ai peur du Garçon

 

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mon aiguille est en avant de ma main et tout mon corps derrière ma main mes doigts sont comme de petits elfes chacun sait ce qu’il fait comme moi je sais la forme de la robe exactement de mon cou à mes pieds et où le col et les manches et les jours et les broderies le savoir de cette robe est dans mon esprit comme un secret et où cela tourne où l’étoffe est près du corps où elle forme une corolle légère la dentelle ne se froissera pas je n’aurai pas besoin du vieux fer si lourd je repasse assez

 

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ma robe m’aide à garder la mémoire à la maison tu oublies toujours tout Marguerite mais ici je n’oublie pas où j’en étais la veille le matin je me lève sans regret de mon lit tiède les autres femmes voudraient y rester parce qu’il y a la robe je ne pense à rien d’autre parce que je dois la finir dès que possible pour mon mariage et sortir de ces murs tirer le fil des draps avec mon aiguille le nouer ce que je peux faire avec le fil pour ma robe j’avance d’hier à aujourd’hui et à un autre jour une autre saison jusqu’à mon mariage et enfin je coudrai les petits boutons au dos du corsage pour resserrer la taille j’en ai grande hâte jusqu’à ce que le dos me fasse mal….

 

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le fil m’obéit il vient tout doucement la robe prend forme ma robe de comtesse avec ses dentelles si je m’y applique bien les Voix se calment et ne me font plus de reproches les jours ne sont pas monotones à cause de tous les motifs ma vie est remplie

 

Proposition d’écriture

Ce texte raconte une histoire poignante et forte. Le contexte est celui de la maladie mentale, de l’enferment dans un hôpital psychiatrique, de la fabrication d’une pièce très élaborée avec des moyens réduits à l’extrême. La robe de mariée créée par Marguerite Sirvins fait aujourd’hui partie de la collection permanente du Musée d’Art Brut de Lausanne.

Ce que je vous propose, c’est d’écrire à propos d’une création, d’une fabrication, mais pas forcement dans un contexte aussi dramatique.

Il peut s’agir de tout acte de création, de fabrication, artistique ou non : toute activité qui nécessite l’utilisation de « matière première », d’outils, de l’usage de ses mains (du corps), et dans laquelle la personne s’engage entièrement.

Racontez cette fabrication, cette création, en vous concentrant sur un (ou plusieurs gestes), sur le(s)quel(s) vous allez vous arrêtez.

Par exemple le geste de prélever de la peinture sur une palette avec le pinceau, passer la brosse sur le tableau, ou le geste de mélanger une préparation culinaire en cours de cuisson, les odeurs qui se développent.

Donnez à voir ces gestes. Nommez les sensations auxquelles ils sont associés. Goût, contact, odeurs, aspect, perceptions internes. En cherchant la précision des mots.

Envoyez-nous votre texte (1500 signes au maximum).

 

Lecture

La robe de mariée est un monologue intérieur, un flux de conscience, qui évoque « la voix intérieure et secrète de Marguerite Sirvins, native de Lozère, en 1890, et qui fut admise à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban, à l’âge de 41 ans… Dans cet établissement, après avoir pratiqué l’aquarelle et la broderie, elle compose, pensant ardemment connaître un jour le mariage et rencontrer l’époux si désiré, une robe de mariée, selon la technique du point de crochet avec des aiguilles à coudre et du fil patiemment obtenu à partir de morceaux de draps usagés.

Œuvre majeure de l’art brut, admirée par Jean Dubuffet, cette robe de mariée fait aujourd’hui partie de la collection permanente du Musée d’Art Brut de Lausanne.

Voici un extrait d’un entretien à la RTS, en ligne sur le site du musée, avec Lucienne Peiry, directrice du musée jusqu’à 2012 (Sarah Lombardi est l’actuelle directrice), à propos de la robe de mariée de Marguerite Sirvins :

« … œuvre réalisée dans le secret, le silence, la solitude, par une personne autodidacte… Elle crée un vêtement nuptial pour une noce qui n’existera pas. C’est une robe de mariée de rêve. Elle vit dans un parfait dénuement… Elle va trouver un moyen pour donner corps à son rêve. Elle tire de ses draps, un a un des fils qui vont être matière première d’un rêve fou… »

Le texte de Katherine L. Battaiellie est dense, poignant, resserré sur l’essentiel d’une parole intérieure qui suit « les égarements du cœur et de l’esprit » de Marguerite Sirvens, qui accompagne son rêve fou.

Pendant qu’elle écrivait ce texte, Katherine L. Battaiellie a pris des notes sur son travail. En voici une, qui est reprise dans la préface du livre :

« Ce qui m’a d’abord bouleversée, sans le savoir vraiment lors de sa découverte, c’était l’intensité avec laquelle cette robe de mariée témoignait d’une quête obstinée du bonheur jusqu’à la veille de la mort, jusqu’à l’extinction de la raison, illustrait notre humaine condition, notre absolu besoin de croire jusqu’au bout à ce que pourrait apporter la vie qu’elle n’avait pas encore apporté, de croire que tout n’était pas définitivement réglé, qu’un miraculeux désordre pouvait encore survenir. »

Une lecture mise en jeu du texte en présence de l’auteur aura lieu le jeudi 11 octobre 2018 à 20h30, salle des Vieilles Tours à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (69).

H.M.

Hélène Massip est auteur de nouvelles, de poèmes et de haïkus. Sa dernière publication : L’affiloir des silences, collection « Poésie XXI », Jacques André Éditeur,  Mars 2016. Elle conduit pour Aleph-Écriture à Lyon une formation de quatre week-ends sur la nouvelle, du 24 octobre 2018 au 12 mai 2019.