« À travers chant » d’André Cantor

À travers chant

 

Dieu me parle tous les matins entre 8 h et 10 h. À 10 h 05 au plus tard, nous nous séparons au moment où je tourne le volant pour négocier le grand portail rouillé et rentrer au dépôt. Je suis conducteur d’une benne à ordures.

Début de service à 4 h. Bonjour Ali, salut Youssef, ça va ? Tu as tes gants ? Les gars montent sur les marchepieds arrières, je grimpe dans la cabine et démarre le camion. Nous traversons les quartiers pavillonnaires, petits prés carrés pelotonnés dans la nuit, forteresses cernées de troènes, portillons aux affichettes menaçantes, poubelles bien rangées. À 6 h, j’engage la benne dans la banlieue grise, déserte, par bonds rugissants. Terrains vagues, friches industrielles, zones commerciales. Sous de blêmes réverbères griffant l’obscurité, des groupes de poubelles amassées, bancales, renversées, débordantes. Pendant deux heures, l’enfer : murs glauques, taules taguées, voies défoncées, épaves sordides de voitures énucléées.

Enfin à 8 h, la route nous conduit, ronronnants, au travers de la campagne pour la tournée des fermes. L’aube pointe au-dessus de la forêt, le ciel pâlit, la lumière baigne progressivement les champs et les arbres. Des oiseaux, pépiant, traversent l’espace, un cheval son pré, un renard la route. Les collines ondulent doucement sous la mer de blé. Tel un cantor, je rythme la liturgie matinale par d’amples rotations du volant. Le soleil tourne autour du camion en resserrant son ombre.

Dieu est là, et il me parle de la Vie.

André Cantor