Isabelle Velex : « Des rencontres si fortes que je ne pouvais que les écrire »

Isabelle Velex est éducatrice spécialisée à Lyon, où elle exerce son métier dans un hôpital psychiatrique. Elle écrit des portraits de patients qu’elle accompagne. Après avoir suivi une formation à Aleph pour les mettre en perspective, elle vient de publier un recueil de textes chez e.zaboo éditions. À l’ occasion de leur lecture au Let Know Café à Lyon, Sylvie Neron-Bancel l’a interviewée.

L’Inventoire : Isabelle Velex, vous publiez Le moment est venu d’éclairer la nuit, un recueil de textes avec six photographies édité chez e.zaboo éditions (juin 2022). Vous aviez déjà écrit la plupart d’entre eux lorsque vous vous êtes inscrite à l’ atelier Reprendre et finaliser un texte de son choix, à Lyon. Quelles étaient vos attentes ? 

Isabelle Velex : Tous mes textes étaient déjà écrits, la matière était déjà là, brute, je ne voulais pas la retoucher… Toutefois, j’avais déjà commencé à en partager la lecture avec un cercle d’amis, leurs retours émus voire bouleversés m’ont donné peu à peu l’envie de les sortir de l’intimité et de les rassembler dans un recueil. J’avais besoin d’un atelier d’écriture pour envisager leur publication.

J’ai parlé de ce projet à ma fille qui elle, s’est embarquée dans cette aventure en photographiant  – la photo étant une de ses passions – dans un premier temps, des lieux, où vivaient les personnes dans la rue. Diane a été en fait présente depuis le début de ce projet car c’est elle qui m’a parlé de ces maraudes littéraires de la librairie Décitre, menées en partenariat avec le SAMU Social de LYON. C’est là que « tout a commencé! ».

C’était mon tout premier atelier, et j’ai été très sensible à l’accueil chaleureux et authentique, que vous, Sylvie, avez fait à ce travail ainsi qu’à la profonde sincérité du groupe dans lequel j’ai pu faire la lecture de mes textes et en faire aussi d’une certaine façon, la redécouverte à travers la voix des autres.

Ce groupe m’a aidé à davantage inclure le regard du lecteur et c’est ce que j’ai fait en rajoutant, selon les suggestions, des textes retraçant de façon chronologique le déroulement d’une maraude depuis l’arrivée au local du Samu Social jusqu’au déchargement du camion au retour. Ce travail m’a aussi aidé à mettre en mot mon propre vécu dans mes missions de bénévole au sein d’une équipe. Vécu personnel, émotionnel et vécu en interaction avec mes co-équipiers.

Vous avez été bénévole durant quatre ans avec le Samu Social de la Croix Rouge de Lyon. En quoi consistait ce travail ?

Ce travail consistait en premier lieu à distribuer des livres et à créer du lien avec les personnes. Au début, le livre me permettait d’entrer en relation plus facilement avec elles, puis quand j’ai eu un peu plus d’expérience et de confiance en moi, le livre était toujours important bien sûr mais il n’était plus aussi nécessaire pour aller à leur rencontre et créer un lien.

En rentrant de ces maraudes, vous ressentiez l’urgence d’écrire sur ces personnes, ces corps, ces visages…

Les rencontres ont été si fortes, si bouleversantes que je ne pouvais faire autre chose que de les écrire, faire autre chose que d’essayer par mes mots de les saisir sur le vif, faire autre chose que de les inscrire sur le papier afin de les sortir de l’oubli. Oubli dans lequel je ne pouvais me résoudre à les abandonner à la fin des  maraudes. Ainsi grâce à l’écriture, je ne les quittais pas tout à fait, je les retrouvais même et je les sortais d’une certaine manière de l’indifférence de la rue, en esquissant leur existence et en dessinant leur visage avec mes mots.

Donner une voix à ceux qui n’en ont pas, je crois que c’est ça, la responsabilité de l’écrivain.

Jim Harrison

Dans les premières pages de votre recueil, vous dites que vous n’écrivez pas « des poèmes mais  des photographies de mots, prises sur le vif, de personnes croisées un instant, une heure, une nuit, un matin » ? 

Oui, les rencontres étaient si inattendues parfois, si émouvantes ou improbables que je ne voulais pas en perdre une miette !

J’écrivais chaque lendemain de maraudes afin de restituer le plus justement et fidèlement possible l’émotion de la rencontre, la personne telle qu’elle je la voyais, telle qu’elle se montrait à moi pour en garder la pureté, un peu comme fait le photographe de façon instantanée lorsqu’il saisit un visage, un corps dans la rue. Et c’est pour cette raison que la poésie s’est imposée à moi, elle permet cette instantanéité à la fois dans sa forme directe et dans sa créativité des mots, elle peut saisir très vite et plus intensément la fragilité de la rencontre avec ces personnes.

Extrait

La nuit déverse ses lumières

Trop plein

 

Mon regard

Rien ne perd

Ne peut

 

Un pan se lève

sans bruit

Ils sont couchés

dans un lit

 

Immense

 

Deux enfants.

 

Elle, au regard si clair

Lui, sur un Qui Vive fuyant

Tous deux en silence

 

Et sans en avoir l’air

Un grand chien noir

Veille sur eux

Crédits photographiques : Diane Velex

Vous avez sélectionné six photos que votre fille a prises pour les publier en regard du texte. Ce n’est pas une illustration mais plutôt une autre rêverie, un autre regard ? Quelle commande lui aviez-vous passée, comment avez-vous choisi les photos qui sont très esthétiques ?

Comme je vous ai dit, j’avais demandé, au tout début, à ma fille de prendre en photos les lieux où vivent les personnes dans la rue, ce qu’elle a fait, puis, j’ai présenté mon recueil à deux éditeurs dont les critiques ont remis en question certaines longueurs de textes.

Après avoir revu la forme (et non le contenu) de mes écrits, j’ai éprouvé un sentiment très agréable de renouveau, ce qui m’a amenée à donner carte blanche à Diane au sujet des photos. Elle avait photographié de magnifiques paysages avec des effets de reflets brouillés et démultipliés que j’ai de suite choisis pour accompagner tel et tel texte en suggérant une autre rêverie, comme vous le dites si bien, Sylvie, une autre image, un élargissement de la poésie des textes.

La librairie Decitre avait posté certains de vos  textes sur facebook. Les retours sur vos textes vous ont-ils encouragée à envoyer votre manuscrit à des éditeurs ?

Oui, très vite, j’ai eu envie de partager mes textes et je les envoyais à une des responsables du Fonds Decitre, mais ce que je ne savais pas (n’ayant pas facebook) c’est qu’elle les postait à son tour sur le réseau ! Oui, les beaux retours que j’ai reçus ont sans doute été un point d’amorce.

Après le refus de deux éditeurs, vous ne vous êtes pas découragée ?

J’ai recherché un nouvel éditeur, que le parcours est long quand on veut publier de la poésie avec des photos ! Ça réduisait d’autant plus mes chances de trouver rapidement.

Vous m’avez prêté, un roman de Michèle Berthelot édité chez e.Zaboo éditions que j’ai beaucoup aimé, je suis allée voir de plus prés cette association de bénévoles à taille humaine, qui aide les primo auteurs à s’auto-éditer, avec un comité de lecture et la recherche d’un imprimeur mise à disposition. Après leur avoir envoyé mon manuscrit, je les ai rencontrés à la Roche sur Foron et l’aventure s’est concrétisée grâce à Marc et à Isabelle Ravier que je remercie encore d’avoir accueilli mes textes avec la simplicité chaleureuse dont j’avais besoin pour ce premier livre !

Espérez-vous qu’en publiant ces portraits, le regard change sur les personnes de la rue ? 

J’espère, oui, toucher le lecteur et s’il est touché, peut-être que la prochaine fois qu’il verra une personne dans la rue, il la regardera avec un regard nouveau… oui, peut-être ! En tout cas je l’espère.

Vous avez été invitée à une lecture le 3 juin, au Let Know Café. Vous avez lu devant un public vos textes à voix haute, vous les avez partagés avec des inconnus. Est-ce l’aboutissement pour vous de passer par la voix pour les faire exister,  faire entendre leur silence ?

Votre question est très juste puisque certains, dans le public, m’ont dit que ma voix donnait chair à ces rencontres de façon très belle et grâce à mon livre, ces personnes sortaient enfin du silence dans lequel collectivement nous les maintenons trop souvent (médias, politique, culture…). Et c’est pour cette raison que la poésie s’est imposée à moi, elle permet cette instantanéité à la fois dans sa forme directe et dans sa créativité des mots, elle peut faire du sur-mesure et saisir très vite et plus intensément la fragilité de la rencontre avec ces personnes.

Sylvie Neron-Bancel

Isabelle Velex est éducatrice spécialisée, elle vit et travaille à Lyon et exerce actuellement son métier dans un hôpital Psychiatrique.

Elle écrit aussi des portraits de patients qu’elle accompagne. Elle a publié récemment aux Editions Universitaires de Dijon des textes dans un ouvrage collectif « Médecine, langage et narration » sous la direction de Jean-Philippe Pierron et Gisèle Chvetzoff.