Isabelle Vilain : Nouvel An

En réponse à la proposition d’écriture de Laurence Faure à partir de « Premier Sang » d’Amélie Nothomb, nous avons sélectionné 8 textes parmi ceux échangés sur notre plateforme. Voici celui d’Isabelle Vilain.
Nouvel An

Ce jour-là était une plaie. Nous devions nous récurer les oreilles et nous habiller en dimanche, mon frère avec un costume et une cravate, moi une robe et des souliers vernis. J’avais horreur de ça. Nous descendions au village. Maman, en chapeau et portant un sac à main, prenait le bras de Papa. Nous allions à pied visiter les parents proches, oncles et tantes aux bouches édentées et aux joues ridées que j’embrassais avec répugnance. Tous offraient des gaufrettes et une petite goutte.

Le grand rassemblement se tenait l’après-midi chez ma grand-mère. Elle mourut. Les instances familiales décidèrent que la concentration aurait dorénavant lieu chez une de ses lointaines cousines, que je n’avais vue de ma vie.

La maison débordait de monde, les tables de tartes, de pistolets et de gaufrettes, les tasses de café et les petits verres de goutte. Les vieux riaient et chantaient en faisant de grands gestes ; les jeunes s’étaient entassés dans la pièce du milieu. Les enfants jouaient aux dominos, les filles se montraient leurs bijoux et comptaient leurs dringuelles. Il n’y avait qu’un garçon, un grand brun. Il ne me vit pas. Quand il se mit au piano, toutes se turent et l’entourèrent. Je restai seule dans mon coin, silencieuse, à écouter. À la fin du morceau, il se leva et vint vers moi : bonjour, dit-il, je m’appelle Marc.

Marc et moi sommes mariés depuis des années. Je cuis les gaufrettes et Marc sert la goutte.

La fête a lieu chez nous. Ce jour-là est un jour de joie.