Jana Gunstheimer: s’y mettre… ou pas

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Au premier plan: Punished image The Artist’s Studio, 2015

Danièle Pétrès

Tous les écrivains connaissent bien ce sentiment, celui de ne pas avoir écrit ce qu’on devait écrire, de chercher à corriger sans fin ce qui l’a finalement été, ou encore de passer son temps à trouver des subterfuges « pour ne pas s’y mettre ».

Chercher à retarder le moment où, une fois le livre écrit, il faudra le relire, et donc réaliser que ce qu’on a écrit n’est pas forcément du niveau de ce qu’on pensait initialement écrire, se remettre en question, recommencer, etc. Parmi ces différents choix, la ratiocination et le « repentir » (revenir après épreuves sur ce qui a été publié), sont deux compagnons de route familiers de l’écrivain.

Pour sa part, Jana Gunstheimer, artiste allemande, s’intéresse dans ses dessins monumentaux au travail d’atelier. Jana Gunstheimer propose à la fois une réflexion sur le rôle de l’art et une vision sur le processus de création. Sa série « The Artist’s Studio » (2015),  est à ce titre universelle.

Non sans rappeler le processus de création du livre pour un écrivain, son œuvre “Age practicing Self-Censorship” (La pratique de l’auto-censure vient avec l’âge), présente au centre de l’oeuvre une image manquante censurée, défigurant par là même le tableau, le rendant intrigant ou absurde. « Image procrastinating » prend quant à lui en compte l’hyper présence des écrans d’Internet, nous divertissant pour nous éloigner encore du moment où « y aller ».

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Image Procrastinating

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Galerie Conrads : Jana Gunstheimer

Même proposition radicale pour “Punished image” où le portrait est puni par son auteur, défiguré pour interroger son statut de « belle image » ou « d’image juste ». On retrouve également cette interrogation sur l’image manquante dans son dessin « The Confiscation of the Contents of an Artist’s Studio », et dans toutes les images de cette série.

Ce qui est fascinant dans son oeuvre, c’est qu’elle semble investiguer le coeur même de la création, saisissant dans son avant, la somme des doutes de l’artiste, et dans son après, la somme de ses réserves, réinterventions, voire détériorations possibles (ce qui intervient généralement en l’absence d’un éditeur pour arrêter le processus de recréation continuelle, dans le cas d’un écrivain).

Tel un reportage au centre de l’atelier de création, la série « The Artist’s Studio » se trouve aux confins de l’art plastique et de la littérature, en ce qu’elle s’appuie sur des mots, des phrases, qui seules, peuvent donner leur sens aux oeuvres. Comme un cartouche ou une légende, voire une micro-fiction, les mots et les images s’emboitent parfaitement pour raconter une histoire. Celle des artistes face à leurs créations dans un atelier.

Sa série: « The Artist’s Studio (2015) » a été présentée lors du salon Drawing Now !  un salon dédié au dessin d’artistes émergents. Réunis autour de 73 galeries internationales et présentant 400 artistes, le salon s’est tenu pendant 5 jours au Carreau du temple en mars 2015). Gunstheimer est née à Zwickau en Allemagne en 1974. Elle a étudié l’ethnologie avant de se tourner vers des études d’art. Elle expose depuis 2002 et a reçu de nombreux prix et bourses.

Ce travail pose encore et toujours la question de l’oeuvre, de ce qu’il faut de questionnements pour la créer, et de courage pour la laisser partir de l’atelier vivre sa vie…

D.P.

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