« Je ne les rencontre jamais », Jean-Marc Glénat

Ce texte a été écrit sur une proposition d’écriture de Valérie Mello à partir de Sugar Street de Jonathan Dee. Il figure parmi les sept textes sélectionnés. 
Jean-Marc Glénat

Je ne les rencontre jamais

Je ne rencontre jamais ceux qui m’emploient
Ils me disent ce que j’ai à faire. Je le fais.
Je me pose pas de questions
J’ai appris à me taire. J’ai appris beaucoup dans ce boulot. Toutes sortes de choses. Ils m’appellent, ils me disent où, ils me disent quand et moi j’y vais.

Je vais où ils me disent d’aller, je fais ce qu’ils me demandent. C’est tout.
Je prends mes affaires et je pars.
Les autres ne savent pas ce que je fais. Ils croient, ils imaginent, ils pensent que… mais ils ne savent pas. Rien.
Je n’en parle pas. Jamais.
Ma femme, mes gosses, les voisins, je leur dis : « j’y vais » et ça suffit.
Ma femme, elle se doute. Ou alors elle sait, mais on n’en dit rien.
Ça paye. Elle a une vie confortable, les gosses ont l’air heureux. Alors, elle m’interroge pas. L’habitude du silence.
A force, les autres, ils posent plus de questions non plus.
Et je leur dirais quoi, d’abord. Ils pourraient comprendre tout ça ?
Alors plus personne ne me demande rien sur ce que je fais, où et avec qui.

Sauf hier.
Mon voisin. Pendant l’apéro. Il me demande : « tu fais quoi en fait ? ». J’ai pas répondu. J’ai détourné le regard. Il a reposé sa question. Il avait pas mal picolé. « Je peux pas t’en parler » que je lui ai répondu. En fait je lui ai même pas répondu.
Je l’ai regardé et ça a suffit.
Il a pas insisté mais j’ai bien vu que ça le troublait.
Et puis, ma femme est arrivée avec des quiches.
C’est elle qui lui a répondu.
«Tu sais l’intérim, c’est pas toujours reposant mais ça permet d’être libre».
Au fond de moi, j’ai souri.

JMG

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