Joëlle Vittone « La rose et la violette », Nicole Suzuki « L’ascenseur »

Ces textes ont été écrits sur une proposition d’écriture de Sylvie Neron-Bancel à partir de L’enfant dans le taxi, de Sylvain Prudhomme. Ils figurent parmi les huit textes sélectionnés.
Joëlle Vittone 

La rose et la violette

Pas de bruit ! J’y suis, ça y est. Pourtant maman n’aime pas que je vienne dans sa chambre sans elle. Elle est en bas, elle s’occupe de mon petit frère. La violette et la rose s’échappent de sa trousse à maquillage lorsque je l’ouvre. C’est le parfum de maman. Celles des deux gouttes derrière l’oreille qu’elle dépose juste avant de sortir. Le bâton de rouge à lèvres brille, son odeur poisseuse et rubis. Mes mains tremblent en ouvrant avec précaution la penderie, les gonds grincent. Il y a la longue robe en taffetas bleu qui vibre sous mes mains. Maman n’aime pas que je vienne sans elle. Elle dit, ce n’est pas bien. Et il y a aussi la vert pâle. Une robe de prairies, de pâquerettes devinées sous les brins d’herbes. Mon cœur bat fort. Pas faire de bruit. Maman est occupée. Papa n’est pas là.

J’ai le temps. Juste encore une fois. Ils ne sauront rien. Ses chaussures à talon, la robe vert pâle, du rouge. Et la rose et la violette.

– Chouchou ? tu descends ? Ton copain Léo veut ton cahier pour l’école, demain.

D’abord ils entendent mes talons sur les marches. Et ensuite ils sentent le parfum de la rose et de la violette. Et ensuite ils aperçoivent les volants de prairie pâle. Et ensuite ils voient le rouge sur mes lèvres, le fard sur mes paupières. Et ensuite ils perçoivent mon sourire dans mes yeux et dans mon cœur.

Le silence des yeux de maman posés sur moi. La main de Léo qui saisit le cahier pour l’école. Je suis fier d’avoir osé.

– Au revoir Madame. Euh … à demain… Augustin.


Nicole Suzuki

L’ascenseur 

Dans la salle vide, une fille, sur l’estrade, joue du piano. Merveilleusement bien. Comme j’aimerais jouer aussi bien qu’elle !

J’ai fait sa connaissance. C’est une lycéenne. Elle a un an de moins que moi. Elle prépare le concours d’entrée au Conservatoire. Elle s’appelle Cécile.

Elle a obtenu une autorisation spéciale pour jouer du piano dans la salle des fêtes en dehors des cours. Pas moi. Je devrais être en étude à cette heure-ci.

Cécile est fière d’avoir une admiratrice. Elle me demande :

— Tu saurais me tourner les pages ?

— Oui, avec joie. Euh ! Je vais essayer. Tu joues tellement vite !

— C’est la sonate Appassionata. Tu aimes ce morceau ?

— Il est magnifique !

Le temps passe trop vite. C’est bientôt l’heure du prochain cours. Cécile referme le dessus du clavier, récupère ses partitions. Elle sort de la salle des fêtes avec moi sur ses talons. Elle referme la porte à clé (on lui a donné une clé, la veinarde).

Nous voici devant l’ascenseur. Réservé exclusivement aux professeurs. Nous sommes en retard. Pour monter au 2èmeétage, ce serait plus rapide.

J’ouvre la grille puis la porte du vieil ascenseur en bois. Nous montons dans la minuscule cabine. J’appuie sur le bouton du 2ème étage. L’ascenseur s’élève lentement, très lentement, puis s’immobilise entre deux étages. Coincé !

On va sûrement être accueillies par la directrice. Punies… Tant pis, je suis fière d’avoir osé.