Régine Zeidan « Sa veste », « La communiante » Lysiane Panighini

Il y a un mois, nous vous avons proposé de raconter un personnage par le biais d’un vêtement qu’il porte, ou qu’il a porté : cette proposition vous a inspiré des textes très charnels, qui donnent corps aux caractères et vie aux silhouettes. Voici les textes de Régine Zeidan et Lysiane Panighini.

Régine Zeidan

Sa veste  

Arrivant au salon, Rose remarque immédiatement la veste.

Caressant le tissu, en toile huilée et très résistant, c’est la réputation de la marque, Rose reçoit les fragrances viriles des cigarillos qu’il fume lorsqu’il est en paix.

Profondément incrustés dans les rayures claires de l’usage, comme les rides d’un visage, stagnent les bruits du vent, celui des vagues…

Fermant les yeux, plongeant plus encore ses narines dans la teinte défraichie, jadis brou de noix de la veste Barbour, Rose entend les aboiements joyeux de Lyll et surprend les odeurs de forêt, de mousse, de rivières que transportent le maître et son chien.

L’envie irrésistible de visiter les poches usées, élargies, forcées par les sollicitations de mains larges et chaudes, de doigts pour piano… Des clés, des pièces de monnaie, des manilles, un stylo, un caillou lisse…

Puis la main s’engouffre dans la poche plaquée côté cœur et le vêtement tout entier soupire.

Son odeur à lui, de cuir et de rires, soudain fuit de la doublure de coton.

Rose fouille puis revient, ramenant à l’heure bleue et au parfait silence une plaquette de pilules.

Surgit alors ce doute, comme un rideau sombre, aussi lourd que le poids de la veste Barbour pendue au dossier de la chaise haute du bar, pointu, impitoyable…

Les cachets, aide à l’amour, dont elle ne connaissait pas l’existence et qu’il transporte dans le secret d’une veste usée qu’il ne quitte jamais, pour qui les consomme-t-il ?

Oh cette petite douleur qui blesse et enferme !


Lysiane Panighini

La communiante

Une robe blanche d’organdi, un voile surmonté d’une petite collerette froncée enserre sa chevelure brune, une aumônière de dentelle pend à sa taille et une petite croix en or brille sur sa poitrine. Pieds nus, elle tarde à mettre ses socquettes et ses chaussures à brides.

Indifférente, elle se regarde dans le miroir. Pâle, les yeux éteints, ses lèvres rouge grenat font tache à force de se les mordiller.

Lorsqu’il avait été question de choisir sa toilette de communiante elle avait préféré celle avec un jupon en dessous et qui gonfle à partir de la taille. Les gants en dentelle étaient compris dans le prix : « c’est une affaire avait dit la vendeuse ».

Mais, elle n’a plus envie de la robe blanche, elle n’a plus envie de faire sa communion ni de gouter la pièce montée commandée pour l’occasion.

Derrière la porte elle entend la bonne s’agiter, courir dans le couloir afin de parfaire les derniers préparatifs. Son petit frère rit aux éclats et ça l’agace.

Elle se regarde fixement.

Puis frénétiquement, pour la énième fois, elle retire le voile, la robe, le jupon, sa culotte et pose le tout sans précaution sur le lit. Elle saisit le gant de toilette mouillé, le met entre ses cuisses et frotte encore. Mais le sang est là qui revient toujours.

Sa mère lui avait dit « on appelle ça les coquelicots et tu seras une vraie jeune fille ».

Mais Françoise ne veut pas être une vraie jeune fille, pas aujourd’hui. Alors elle frotte.

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